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Whitewashing : Monsieur Julien Dorcel, c’est quoi votre problème avec les Noires ?
Posted 16/08/2017
on:- In: Brèves | Médias | Shout out
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Le « whitewashing », littéralement « lavage en blanc », désigne entre autres le fait, pour les médias, de présenter des femmes non blanches d’une manière qui les fasse ressembler à des femmes blanches. Par exemple, dans un film historique dans lequel interviendrait une femme asiatique, cela consisterait à choisir une actrice à la peau très blanche, aux cheveux plutôt bruns que noirs, ondulés plutôt que raides, aux yeux peu bridés, aux traits du visage caucasiens, c’est-à-dire une actrice plus proche de l’idéal de beauté des femmes blanches, en lieu et place d’une femme asiatique.
Vous connaissez Alicia Aylies ? Elle est née à Fort-de-France, elle a 19 ans, elle fait des études de droit à l’université de Cayenne, elle a été Miss Guyane avant d’être élue Miss France 2017.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le concours Miss France n’est pas au top du féminisme. Mais j’avais trouvé assez cool que, pour la première fois, une Miss Guyane décroche la fameuse écharpe. En plus, je m’étais dit que, pendant un an, on valoriserait un type de beauté un peu différent de la jeune femme blanche, et que ce serait plutôt pas mal pour toutes les femmes de France. A fortiori, je me disais que cela pourrait être très positif pour les jeunes filles métisses, qui ont peu l’occasion de voir dans les médias un type beauté qui leur ressemble, auquel elles puissent s’identifier.
Et effectivement, pendant quelques mois, on a pu voir défiler les photos d’Alicia Aylies :
(Mes préférées sont celles, prises sur le vif, parues sur les réseaux sociaux, sur lesquelles les cheveux de Miss France sont laissés les plus naturels.)
Mais j’ai failli m’étrangler quand j’ai vu la photo de la nouvelle campagne du créateur de bijoux Julien Dorcel :
Mais c’est quoi, ça ? C’est qui, elle ? Il se moque de qui, là, Monsieur Julien Dorcel ? Sur l’échelle du ridicule, il se situe où, le photoshopping d’une femme métisse élue « la plus belle de France » pour la rendre semblable à une blanche à peine hâlée, aux cheveux lisses bouclés au fer à friser ? Elle n’est pas suffisamment jolie, notre Miss France ?
Quand est-ce que les Noires auront enfin le droit d’être noires ?
Comment être féministe au quotidien ?
Posted 18/02/2016
on:Je ne suis pas une féministe parfaite. J’ai gueulé lors des réunions de l’association féministe à laquelle j’appartenais, j’ai expliqué d’un ton enflammé mes positions à mes ami(e)s partageant les idées féministes. Mais au quotidien, en milieu hostile, je m’écrase.
Face au propriétaire de l’appartement que je louais
Le propriétaire de l’appartement que je louais (je n’aime pas l’expression « mon propriétaire », qui me donne l’impression d’être son animal domestique) voulait en changer les fenêtres, mais rencontrait des difficultés d’ordre administratif. Il avait besoin d’un permis, que la structure concernée refusait de lui délivrer. A la tête de cette structure, se trouvait une femme. Le propriétaire m’a donc dit tout naturellement :
« Les femmes, ce n’est pas fait pour avoir des responsabilités comme ça. »
Ce que j’ai pensé : « Tu te rends compte que je suis une femme, là ? Je serais donc biologiquement cantonnée à des rôles subalternes ? Sympa, autant que j’arrête d’essayer de faire carrière pour me consacrer à mes tâches naturelles : les gosses, la maison… ! »
Ce que j’ai dit, d’une voix égale et respectueuse : « Ce n’est pas tellement lié au fait d’être une femme, si ? Ce serait pareil avec n’importe qui, non ? »
– Non, les femmes ne sont pas capables de gérer ce genre de responsabilités, ça leur monte à la tête.
– Ah… Je ne sais pas… »
Et ça, mes ami(e)s, c’est ce que j’ai fait de mieux en termes de combativité ! Le reste du temps, je m’écrase lamentablement. Je suis incapable de rien dire, quelle que soit la gravité du propos tenu… Ami(e) féministe, toi qui complexes parce que tu n’as jamais « la bonne réplique » ou parce que tu n’as pas été « assez incisif/incisive », lis mon récit et déculpabilise. Je sers régulièrement de modèle aux crêpes (par ma capacité à m’aplatir hein, pas parce que la chantilly sort quand on m’appuie dessus !).
Face aux ami(e)s de mes ami(e)s
Les ami(e)s de mes ami(e)s sont mes ami(e)s, c’est bien connu. Ouais, non. Parfois, les ami(e)s de mes ami(e)s, ce sont de gros boulets. L’autre jour, la discussion portait sur la Thaïlande. Elle a naturellement dérivé sur les transsexuel(le)s :
« Les « ladyboys », là-bas, c’est un fantasme. C’est hyper populaire ! dit quelqu’un.
– Dans les hentais (BD pornographiques d’origine japonaise), on voit parfois des trucs avec des trans. J’en ai offert un à X. pour son anniversaire ! rit un(e) autre.
– Oh je l’ai vu ! s’esclaffe un(e) troisième. C’était dégueulasse !
– Tu imagines si ça t’arrive en vrai ? Elle se déshabille et là, tu tombes sur un sgeg ! Pouah ! La débandade ! s’exclame, hilare, un(e) quatrième.
– Dans les hentais, il y a aussi des trucs avec des chèvres ou des chiens ! » renchérit le ou la premier(e). Et la discussion de se poursuivre joyeusement sur le thème de la zoophilie.
Ce que j’ai pensé : « Mais enfin, on ne peut pas comparer les chèvres et les personnes trans ! J’ai des copains et des copines trans ; ce sont des gens normaux, sympas, avec des goûts alimentaires, des coups de cœur cinématographiques, des projets de carrière… Exactement comme vous et moi ! »
Ce que j’ai dit : Eh… Rien. Je n’ai absolument rien dit. J’ai murmuré un « Ben oui, ce sont des choses qui arrivent… » que seule ma voisine a entendu. Et puis, pour ne pas trahir complètement la cause, j’ai croisé les bras, me suis renfrognée, et j’ai reculé mon dos pour l’appuyer contre le dossier de la chaise.
Un peu plus tard, alors que la discussion avait dérivé sur Disney, et plus précisément sur la fée Clochette, l’une des personnes présentes a dit, en riant : « De toutes façons, la fée Clochette, c’est une pute ! Elle a une robe ras les seins et ras la moule. On dirait qu’elle va faire le tapin, regarde-moi ça ! »
Ce que j’ai pensé : « Slut-shaming, bonsoir ! Pour changer, une fille qui s’habille court est une pute, on est en 2016 mais tout va bien. »
Ce que j’ai dit : Au lieu de dire qu’une fille en robe courte avait le droit au respect, je me suis magistralement lancée dans une tirade sur le thème : « Elle n’est pas si courte, sa robe. »
Face à des collègues
J’ai travaillé en collège, où il y a eu une grosse bagarre entre deux groupes de garçons. L’un de ces groupes, issu d’un établissement voisin, soutenait un garçon qui venait de se faire plaquer par une fille. L’autre groupe, issu de notre établissement, soutenait le garçon qui s’était récemment mis en couple avec cette fille.
Le CPE a expliqué qu’il a fallu prévenir la police, et escorter le garçon de notre établissement jusqu’à son domicile, pour éviter qu’il se fasse casser la figure en bas de chez lui. Et puis il termine son récit en disant :
« Evidemment, j’ai convoqué X [la fille]. Je lui ai passé un savon, en lui disant qu’elle avait intérêt à se faire discrète jusqu’à la fin de l’année scolaire. »
Ce que j’ai pensé : « Donc deux groupes de mecs complètement teu-bés font les caïds, veulent balancer leurs petits poings d’adolescents pour éviter de montrer qu’ils n’ont pas de vocabulaire suffisant pour se parler, sèment la terreur devant le collège, et c’est la fille qu’on convoque pour lui dire de se tenir à carreau ? »
Ce que j’ai dit : « Ah, quand même. » #JeSuisCourage.
Face à ma famille
Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai fermé ma gueule pour ne pas « gâcher l’ambiance » lors de réunions de famille. C’est difficile, parce que j’ai la sensation de ne pas pouvoir exister « en tant que moi », de devoir subir à chaque fois ces agressions que je prends personnellement. J’ai l’impression de ne pas être dans un environnement « safe », dans lequel je me sens bien : je suis constamment sur la brèche, prête à encaisser ces attaques. J’attends la prochaine remise en cause de ce en quoi je crois, de ce que je défends et donc, in fine, de moi en tant que personne.
Les dernières discussions en date portaient sur la parentalité des personnes handicapées. Je parlais d’un reportage que j’avais entendu à la radio, et rapportait les propos d’une femme : « J’avais une chance sur deux de transmettre ma maladie à ma fille. J’ai eu de la chance, elle est en bonne santé », disait-elle. Mon opinion était que vouloir absolument concevoir un enfant biologiquement relié à soi sachant que cet(te) enfant aurait une chance sur deux d’être malade, handicapé(e) toute sa vie, c’était un acte irresponsable et très égoïste.
L’une des personnes présentes est alors intervenue : « Ben c’est comme les homos ! Ils veulent absolument des gosses. Pourquoi ne pas autoriser le mariage et l’adoption avec une chèvre aussi ? » (Non, moi non plus je ne sais pas pourquoi les chèvres obsèdent autant les gens intolérants.)
Plus tard, lors d’une conversation portant sur les salons de coiffure de la ville, l’une des personnes présentes dit d’un ton tout à fait banal, sans aucune animosité, comme si c’était normal : « Ah, j’ai testé le salon recommandé par X., avec toutes ses fiotes. »
Alors qu’on causait « femme de ménage », l’un(e) dit en plaisantant : « Femme de ménage, c’est un pléonasme ! » (L’humour sexiste, c’est toujours aussi hilarant.)
Tandis que le dessert approchait et qu’il était question de banane, une personne se mit à imiter un accent « noir » pour demander : « Tu veux manger des bananes ? » Puis, poussant l’imitation plus loin, en roulant le [r] et en parlant fort : « Hiiiiiiii ! Je suis NOIR ! »
En parlant de nos ami(e)s respectifs et respectives, une personne a expliqué : « X., à chaque fois on le charie avec le fait qu’il est arabe. Quand on ne retrouve plus un truc : « X. ! C’est toi qui l’a pris, hein ? » » Une autre a ajouté : « J’aimerais bien savoir danser. Y., quand il danse, c’est un truc de fou, il danse trop bien. Il est noir, c’est normal pour lui. »
Pendant qu’on évoquait le fait que les filles ayant de nombreux partenaires sexuels étaient montrées du doigt alors que les garçons ayant beaucoup de partenaires étaient encensés : « C’est normal ! Une clé qui ouvre toutes les serrures, c’est une bonne clé. Une serrure qui se laisse ouvrir par toutes les clés, c’est une mauvaise serrure. »
Ce que j’ai pensé : « Putain, ce qu’ils et elles m’emmerdent, là, tou(te)s, avec leurs idées à la con ! On n’est plus en 1902, faudrait évoluer, un peu ! Ce n’est pas possible de devoir subir ça à chaque fête de famille ! »
Ce que j’ai dit : Eh ben, rien. Enfin, si : face à certaines remarques destinées à me faire réagir (à me « taquiner »), j’ai haussé les sourcils, les épaules, et en secouant la tête j’ai dit : « Que veux-tu que je te dise ? Tu sais très bien ce que je pense de ça. »
Pourquoi diantre est-ce que je ferme ma gueule ?
Dans tous les cas cités ci-dessus, je me suis tue. Pourquoi ? Eh bien parce que, en tout maturité affective, j’aime bien quand on m’aime bien. J’ai envie de faire bonne impression, j’ai envie qu’on m’apprécie. Enoncer haut et fort que les trans et les homos sont des personnes comme les autres, que porter une robe courte ne veut pas dire qu’on n’a plus le droit au respect, qu’avoir un vagin ne prédispose pas au ménage, tout ça, ça fait tache. Je deviendrais : « la fille qui n’a aucun humour, avec qui on ne peut plus rien dire ».
Objectivement, je devrais me moquer de ne pas être appréciée par des personnes tenant des propos sexistes, racistes, homophobes, transphobes. Alors pourquoi est-ce que je continue à jouer la comédie de la fille qui est normalement sexiste et qui trouve que le racisme, c’est rigolo ? Peut-être est-ce parce que je n’ai pas de cercle d’amis féministe suffisamment vaste pour me permettre de refuser ces moments de sociabilité. 80% des conversations étaient sympas, rigolotes. Devrais-je m’en priver au nom des 20% ? Je devrais. Je devrais pour espérer faire avancer les choses à mon échelle. Mais je n’ai pas le courage.
En famille, je me tais pour ne pas gâcher l’ambiance. Chacun(e) d’entre nous ayant un très fort caractère, je sais que la moindre discussion va durer, que nous allons hausser le ton, que personne n’acceptera d’avoir tort, et que toutes et tous, nous défendrons âprement nos manières de voir, quitte à être très désagréables les un(e)s envers les autres.
La question qui se pose malgré tout est la suivante : pourquoi cela devrait-il être à moi de faire ces efforts-là ? Pourquoi ne pourrait-on pas partir du principe que c’est à chacun(e) d’éviter de faire état d’opinions conflictuelles ? Ma famille me rétorquera vraisemblablement que c’est parce que je suis en minorité que c’est à moi de me censurer.
La solution pour m’assurer qu’ils et elles feront attention serait de m’énerver bien fort à chaque fois, pour que ce soit elles et eux qui se sentent obligés d’éviter ce genre de remarques sous peine de gâcher l’ambiance. Mais je ne le fais pas, je cède à la facilité. D’abord parce que des dizaines de discussions posées avec ces mêmes personnes m’ont convaincue qu’elles ne changeraient jamais d’opinion. Et ensuite, toujours selon le même principe, parce que j’aime bien qu’on m’aime bien, et que, pour ça, je suis prête à manger mon chapeau de temps en temps.
Au travail ou avec le propriétaire de l’appartement que je louais, j’évite les conflits. En tant que femme, j’ai été éduquée à cela : à « prendre sur moi », à « laisser glisser comme sur les plumes d’un canard » alors que mes frères ont été éduqués à « se défendre eux-mêmes », à « ne pas toujours appeler papa/maman pour venir à leur secours ». Je le sais bien, et pourtant, cette disposition, même si elle est acquise et pas innée, est devenue une composante de ma personnalité. J’ai peur de déranger, de demander trop, d’entrer en conflit. Je laisse échapper ma rage par derrière mais par devant, je m’aplatis comme une carpette.
Je ne suis pas une féministe parfaite. Etre féministe au quotidien, ce n’est pas facile.
Les jours passent et les publicités se ressemblent… La créativité des responsables com’/marketing des grands groupes (et des plus petits aussi, d’ailleurs) en terme de sexisme semble illimitée :
« On a tous une bonne raison de choisir la SMEREP, » clame la publicité, vantant ainsi les mérites de ce centre de remboursement qui fait office de sécurité sociale étudiante. En guise de bonne raison, on aurait pu nous parler de la compétence du personnel, de la rapidité des remboursements, de la couleur des papiers peints des agences, ou de la qualité de la musique d’attente quand on appelle le 0 800…
Mais là, non. Quelque part à la Défense, on a quinze mecs et une poignée de nanas, l’équipe en charge de cette campagne de pub, qui se sont dit que ça serait « rigolo », qu’on jouerait sur le côté « décalé » en faisant poser un jeune Noir en jogging type « banlieusard », en lui demandant de faire un regard lubrique, et en lui faisant dire : « Moi, c’est pour la meuf, mec ! » La « meuf » de l’accueil, on suppose ? Ou la « meuf » qui répond au téléphone peut-être ?
Le côté carrément sexiste et borderline raciste du truc ne leur a pas du tout sauté aux yeux, apparemment.
Non, non, mais allons-y carrément. Ressortons les publicités de nos fonds de tiroir. Au temps béni où ces hystériques de féministes ne voyaient pas le mal partout, et où on pouvait faire son métier sans être emmerdé.
Franchement, depuis le temps qu’on se tape ces sales pubs sexistes, il n’est venu à l’idée de personne que ça serait carrément plus original de faire une pub qui sorte des clichés ? J’m’en vais vous révolutionner le monde de la com’, moi, z’allez voir. 😉
Sexisme et racisme dans les programmes scolaires : Ce que l’histoire ne dit pas
Posted 11/06/2013
on:L’enseignement de l’histoire aux jeunes enfants est quelque chose qui me fascine depuis que j’ai lu 1984 de George Orwell. Dans ce récit de sciences fiction, le personnage principal découvre que le gouvernement manipule l’histoire qui est enseignée aux citoyen(ne)s pour la faire correspondre à ses buts politiques. A chaque nouvel objectif politique, l’histoire est réécrite, manipulée, tordue.
A ce stade de la lecture, selon vos goûts personnels, vous pensez à la France avant la Révolution française, au régime de Vichy, à la Chine de Mao ou au régime chinois actuel. Et la France du XXIème siècle, vous y avez pensé ?
Il suffit de regarder les programmes scolaires d’histoire et de feuilleter quelques manuels pour se rendre compte de l’ampleur des dégâts. A les lire, on a l’impression que l’histoire de France est du monde est une succession d’hommes formidables qui ont mené la France à la grande puissance qu’elle est aujourd’hui. La condition des femmes et le racisme des personnages historiques sont complètement occultés. Et moi, ça m’ennuie quand même vachement.
Attention, je ne dis pas qu’il y manipulation consciente. Je ne pense pas que nos hommes et nos femmes politiques se soient un jour réunis dans un bureau pour établir une stratégie visant à nous faire croire 1/ que les femmes n’avaient pas d’importance et 2/ que Pétain n’était qu’une absurdité monstrueuse de racisme au milieu d’une France ouverte et tolérante.
Ce que je dis, en revanche, c’est que personne n’a eu l’air de faire un effort pour éviter le sexisme et le racisme qu’on observe aujourd’hui. En même temps, on ne peut pas leur en vouloir. Dans la langue française, la généralisation se fait au masculin : « Les Français étaient contre la guerre d’Algérie », « les Marocains ont beaucoup souffert » et HOP ! On a l’impression qu’il n’y avait pas un seul utérus dans le paysage. Une histoire d’hommes qui se battent (de façon virile. Nos soldats, c’pas des tapettes.) contre d’autre hommes ; une histoire écrite par des hommes et pour des… garçons et des filles. Blanc(he)s et pas Blanc(he)s et à qui on doit quand même la vérité. (Au passage, si les instituteurs et les institutrices de France et de Navarre pouvaient nous éviter le traditionnel : « Le masculin l’emporte sur le féminin » pour expliquer que la généralisation se fait au masculin, ça s’rait super sympa. Merci d’avance, z’êtes adorables.)
Je vais être honnête, je n’ai pas très envie de me lancer dans une justification théorique. Pour celles et ceux que ça intéresse, je conseille Pierre Bourdieu et Michel Foucault. L’un et l’autre montrent que l’école, loin d’être un ascenseur social, sert à reproduire le modèle en place. Ici, je voudrais juste vous donner quelques exemples, que vous pourrez enrichir à loisir à partir des programmes scolaires.
- La démocratie grecque, ce modèle
Dans le chapitre « civilisation ancienne », on nous explique que les Grecs (hop ! que des hommes !), plusieurs siècles avant la Révolution française, fonctionnaient déjà de façon démocratique. Formidable ! Si on excepte le fait que les femmes grecques avaient les mêmes droits que les esclaves, c’est-à-dire à peu près aucun.
- Les grands hommes de l’Antiquité : Alexandre ou Jules César
Le programme impose de retracer la vie d’un illustre empereur. Bon, alors suggérer Alexandre ou César, c’est pas mal. Et sinon, quelqu’un a pensé à Cléopâtre (VII, la plus connue) ? Une femme à la tête du Royaume d’Egypte pendant vingt ans, avant même la naissance de J.C., ça n’intéresse personne ?
- La Révolution française abolit les privilèges et instaure la démocratie
Ah, ça, c’est bien. La Révolution française instaure le droit de vote universel et donc la démocratie. Sauf que, c’est marrant, « universel » dans ce cas, ça veut dire « masculin ». La vie est bien faite… En fait, la Révolution française donne le droit de vote à tous les hommes, mais il faut attendre 1944 pour que les femmes aient le droit de se rendre aux urnes. Evidemment, on ne le présente jamais comme ça. Dans l’esprit de tout le monde, le droit de vote des hommes, c’est le progrès, le standard, la norme. Le droit de vote des femmes, c’est presque normal qu’on ait attendu si longtemps pour l’avoir.
De façon assez pratique, on oublie que la Suède a donné le droit de vote aux femmes dès 1718, et que la Nouvelle Zélande l’a accordé dès 1893. Pire, le Royaume de France, dans cet enthousiasme révolutionnaire qui le caractérisait, a supprimé en 1791 le droit que les femmes avaient (depuis le XIIème siècle dans certaines régions) de voter aux élections consulaires (gouvernements locaux).
- Napoléon, génie français
Je vais vous éviter un débat sur l’ensemble de l’œuvre de Napoléon. Je tiens seulement à signaler que l’esclavage fut aboli dans l’empire français en 1794 sous l’impulsion révolutionnaire de la fin de siècle. En qu’en 1802, c’est notre bon vieux Napoléon qui rétablit l’esclavage et la traite des Noir(e)s.
Pour parenthèse, c’est aussi lui qui, en 1803 proclama l’interdiction des mariages interraciaux entre Noir(e)s et Blanc(he)s ou, pour citer la prose de l’époque « entre un blanc et une négresse ou entre un nègre et une blanche ». Son conseiller pour ce décret, Ambroise Régnier, est d’ailleurs enterré au Panthéon. C’est beau.
- Jules Ferry, père de l’école gratuite, laïque et obligatoire
Ah ça, on ne pourra pas lui enlever. Même s’il est loin d’avoir été le seul, Jules Ferry a bien été le père des lois de 1882 instaurant l’école gratuite au niveau du primaire, laïque, et obligatoire entre 6 et 13 ans.
En revanche, ce qu’on oublie souvent de dire, c’est que Jules Ferry est celui qui a relancé la conquête de la Tunisie, qui a aboutie au Protectorat de 1881. C’est aussi lui qui a poussé à l’extension de la mainmise sur le Congo Brazzaville en 1883 et sur Madagascar la même année. Et c’est sous son impulsion qu’a été lancée la conquête de l’Annam et du Tonkin en Indochine, en 1885.
- Victor Hugo, défenseur des droits de l’homme
Il est en particulier célèbre pour s’être prononcé contre la peine de mort bien avant son abolition en 1981. Ce qui serait sympa, c’est de ne pas oublier que ce grand humaniste était aussi un grand partisan de la colonisation, et qu’il l’avait défendue sans équivoque dans un discours de 1879 à l’Assemblée : « Peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui ? A personne. Prenez cette terre à Dieu. »
- François Mitterrand, président de gauche
Et Charles de Gaulle, grand vilain oppresseur des peuples d’Algérie. Une nouvelle fois, je vais éviter de tomber dans des considérations purement politiques sur l’ensemble de leurs actions. Mais je vais quand même souligner qu’en 1954, c’est bien François Mitterrand, Ministre de l’Intérieur, qui déclare : « Voilà donc qu’un peu partout, d’un seul coup, se répand le bruit que l’Algérie est à feu et à sang. […] Faut-il que l’Algérie ferme la boucle de cette ceinture du monde en révolte depuis quinze ans contre les nations qui prétendaient les tenir en tutelle ? Eh bien non ! Cela ne sera pas, parce qu’il se trouve que l’Algérie, c’est la France. […] Telle est notre règle, non seulement parce que la Constitution nous l’impose, mais parce que cela est conforme à nos volontés. »
Voilà, donc l’Algérie, c’est la France, non seulement parce que c’est écrit dans nos textes de lois, rédigés par nous-mêmes (commode !), mais aussi parce que ça nous plaît bien.
Le but de cette petite liste, que je pourrais continuer sur plusieurs pages, n’est pas de faire la chasse aux sorcières. C’est simplement de montrer que les choses ne sont pas si simples qu’on voudrait parfois nous faire croire. Que l’histoire ne s’écrit pas avec d’un côté les gentils, et de l’autre côté les méchants. D’abord parce que cela serait oublier les gentilles et les méchantes. Et ensuite parce que, même si c’est plus pratique d’asséner de grandes vérités à de jeunes esprits, en leur faisant croire que « c’est comme ça et pas autrement », le rôle de l’école dans une démocratie digne de ce nom, c’est quand même de former des esprits critiques. Et sur ce point, il me semble qu’il y a encore du travail…
A voir : programmes scolaires du collège datés de 2009. Pour parenthèse, depuis la création d’un Ministère chargée de l’Instruction Publique/Education Nationale, jamais une femme n’a été nommée à sa tête.
Le Blanc. Réflexions autour du concept de « race ».
Je n’avais jamais pensé mon existence, ni même celle de qui que ce soit, en termes de ce que les Anglo-Saxons appellent naturellement « la race ». Oh, bien sûr, j’ai entendu plus souvent qu’à mon tour, des phrases commençant par : « Les Arabes …», « Les Noirs … » ou mêmes encore « Les Asiatiques … » et suivis de tout un tas de cliché plus ou moins ouvertement racistes. Quant à moi, j’étais l’impensé, l’universel, la norme. Le Blanc. Et à ce titre, aucune phrase ne pourrait jamais commencer par « Les Blancs… ».
Il m’a fallu voyager et demeurer aux Etats-Unis pour commencer à prendre conscience de ce fait. En plus de me définir en termes de genre (je suis une femme), de nationalité (je suis Française), d’occupation (je suis étudiante), de lieu de naissance (je suis Lorraine), il faudrait peut-être un jour que je commence à me penser en termes de « race ». En effet, si la race est un concept qui n’existe pas biologiquement, il a une véritable existence sociale. Comme dans mon introduction avec « les Noirs », « les Arabes » et « les Asiatiques », et comme aux Etats-Unis avec « les Blancs », les gens utilisent ce concept pour décrire une certaine catégorie de la population qui n’a, pour seule différence avec les autres, qu’une différence physique – les scientifiques appellent cela le phénotype.
Au cours de mon séjour en Californie et au contact de ceux et celles que l’on appelle (et qui se considèrent comme) des « minorités » (c’est-à-dire des non-Blancs), j’ai découvert qu’à moi aussi, au nom de ma « race », un ensemble de clichés s’appliquaient qui permettaient de me « définir ». « Les Blancs n’aiment pas la nourriture épicée », « Je ne comprends ces Blancs et leurs lois permissives sur les armes à feu », « la cuisine Blanche se compose exclusivement de pommes de terre à l’eau ». Et moi qui n’ai jamais fait tellement l’effort de comprendre les différences entre la cuisine marocaine, algérienne ou tunisienne, j’ai été surprise qu’on puisse ne pas en faire entre la cuisine française, anglaise ou espagnole.
Plus je pars et plus j’apprends.