A quelques pas de là…

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Tout de suite les grands mots : « le désir hétérosexuel est une construction sociale »

Le privé est politique.

Ce slogan féministe résume l’idée suivante : de la garde des enfants aux tâches domestiques en passant par l’orientation scolaire et les salaires touchés par chacune, tous les éléments de notre vie « privée », tous les « choix » que nous supposons individuels sont en réalité façonnés par la société (patriarcale) dans laquelle nous évoluons.

Les militantes du « lesbianisme politique », appliquant ce pan de la pensée féministe à l’hétérosexualité, considèrent que toute la société nous conditionne à nous penser hétérosexuel.le.s, à nous imaginer en couple avec une personne de sexe opposé, et du même coup à ne jamais envisager les sentiments envers une personne de même sexe comme autre chose que de l’amitié (au mieux).

L’homophobie fait bonne mesure là-dessus, inculquant très tôt aux petites filles et surtout aux petits garçons à quel point il est repoussant d’être lesbienne (camionneuse, garçon manqué, ni désirable, ni attirante…) ou gay (efféminé, maniéré, faible : « c’est pas un truc de tapette »…). Dans ce contexte, qui aurait le moindre espace mental pour envisager de construire sa vie avec une personne du même sexe ?

Je parle ici de construire sa vie parce que, du côté des femmes au moins, quantité d’hétéros rêvent d’ « expérience sexuelle lesbienne ». Elles s’imaginent cela plus doux, plus attentif à leurs propres désirs, plus respectueux de leurs envies, plus à même de leur procurer du plaisir… (A mon sens, cela en dit moins sur leurs fantasmes que sur leur vie sexuelle actuelle, qui doit être bien insatisfaisante). S’imaginer avec une femme ponctuellement, sexuellement, ne leur pose pas de problème. C’est imaginer construire une vie ensemble, et l’assumer aux yeux de tou.te.s, dont elles sont incapables.

 

Le choix de l’homosexualité

Lorsque j’ai rencontré l’une des proches de mon amie, lesbienne elle aussi, l’une des choses qu’elle m’a dites était : « J’admire ta façon d’assumer le fait d’aimer une femme. Beaucoup, à ta place, n’auraient pas eu cette réaction. » Je ne voyais pas bien, alors, ce qui pouvait être admirable dans ce que je faisais, ni qui pouvait être ces « beaucoup » qui auraient choisi de se refuser à elles-mêmes quelque chose qui les rendait heureuses. Et puis, j’ai écouté, entendu…

Deux histoires, entre plein, de ces « hétéros qui finissent toujours par y retourner », de ces histoires de crush qui se « terminent souvent par un cœur brisé côté lesbienne ».

La première, c’est l’histoire d’une femme, mère de deux enfants, séparée du père. Elle tombe amoureuse d’une autre femme. C’est cette dernière, lesbienne, qui raconte : le fait de rester cachée, de n’exister aux yeux de personne, d’être celle dont on a honte. En face, cette mère a peur. Peur du regard qu’on pourrait porter sur elle à l’école de ses enfants. Peur des remarques des autres enfants aux siens. Peur de la réaction de sa famille. Peur de l’homophobie. Eh oui. Surprise. Les remarques homophobes/lesbophobes, elles font du mal immédiatement aux lesbiennes et à leurs proches, et puis à plus long terme à toutes les femmes qui se prendraient à aimer d’autres femmes.

La deuxième histoire, c’est aussi l’histoire d’une femme, mariée à un homme dont le salaire est plutôt élevé. (Pour un peu, on pourrait dire : « un homme qui gagne bien sa vie », mais je n’aime pas cette expression. Passons.) Elle tombe amoureuse d’une autre femme. C’est aussi cette dernière, lesbienne, qui raconte : les rendez-vous clandestins, l’espoir, la déception immense de n’être pas assez bien, de ne pas valoir le déclassement social que le divorce impliquerait pour celle qu’elle aime. Mais qui peut blâmer celle qui ne veut pas divorcer ? Elle vit dans une grande et belle maison, mange des produits frais de bonne qualité, peut se faire plaisir normalement sans avoir à consulter l’état de son compte en banque, achète les vêtements qui lui plaisent et part en vacances à la mer une fois par an. Et on voudrait qu’elle décide de vivre à deux dans un appartement avec une seule chambre, qu’elle achète des produits premier prix, s’inquiète de savoir si le prélèvement de la taxe d’habitation va passer, et ne parte plus en vacances qu’un été sur deux, après avoir patiemment mis de l’argent de côté pendant deux ans ? Mais qui le ferait ? Spontanément, de bon cœur, sans se poser de question ?

Vivre avec une femme, dans une société qui privilégie la nomination d’hommes pour les postes de pouvoir et rémunérateurs, c’est vivre le déclassement social, financier.

On ne choisit pas de qui on tombe amoureuse. Mais on peut choisir, si l’inquiétude et la peur envahissent déjà tout l’espace, de confiner, tapir, violenter ces sentiments pour les rabougrir dans un coin en attendant qu’ils fanent et disparaissent.

Dans ce sens-là, oui, l’homosexualité est un choix. C’est un choix politique, au sens de « la société », par opposition à ce que serait un « choix privé » : c’est un choix qui découle du contexte social et politique.

Plus joyeusement, choisir le lesbianisme, choisir de dire oui à ses désirs, c’est pouvoir se passer du regard des hommes, ne plus attendre de leur plaire. Physiquement, déjà, c’est pouvoir choisir des vêtements confortables plutôt que des vêtements « séduisants » ou « féminins » si on le souhaite. Et au-delà du physique, c’est ne plus rechercher l’approbation des hommes même quand ils sont en position de pouvoir et de responsabilité, puisque le regard qui compte, il est féminin.

C’est s’émanciper de l’oppression sociale qui découle du couple hétérosexuel dans un modèle patriarcal : c’est vivre avec quelqu’un avec qui il ne faut pas se battre sur les tâches ménagères, et qui prend sa part de la charge mentale (qui planifie les rendez-vous, organise les vacances, prend rendez-vous chez le médecin pour autrui, anticipe la fin du stock de pâtes et en rachète…), et qui porte spontanément sa part de la charge émotionnelle (qui prend soin d’épargner l’humeur d’autrui aux dépens de la sienne, pense à mille et uns détails de décoration ou autres qui permettent de se sentir bien chez soi, gère les liens familiaux et pense à rappeler les anniversaires…).

C’est ne plus devoir choisir, quand on est féministe, entre d’une part se taper la pédagogie pour éduquer constamment son conjoint et le rappeler à l’ordre, et d’autre part se taper le patriarcat quand le dit conjoint n’a pas conscience de ce qu’il ne fait pas (tâches ménagères, compliments and co., cf. ci-dessus).

« Soyez exigeantes, devenez lesbiennes ! »

Certaines militantes (Despentes, Coffin) appellent à « devenir lesbienne« . Parce que ce n’est pas comme ça que les choses se sont passées pour moi, je ne sais pas s’il est possible de choisir consciemment de n’avoir des relations qu’avec des femmes, et de s’y épanouir. Mais je voudrais profiter de cet espace pour répondre à la critique habituelle du lesbianisme politique : « Comment peut-on appeler à choisir le lesbianisme sans faire le jeu des homophobes ? On martèle que l’orientation sexuelle n’est pas un choix… Si c’est un choix, les homos peuvent choisir de retourner à l’hétérosexualité et les homophobes ont raison de leur imposer des thérapies de conversion, de leur refuser le mariage, l’adoption, la PMA… Les lesbiennes et les gays n’ont qu’à (re)devenir hétéros pour y avoir accès ! »

D’abord, il faut rappeler qu’il n’y a pas de symétrie entre « choisir l’homosexualité » et « choisir l’hétérosexualité » (ou, le cas échéant, « (re)devenir hétérosexuel.le grâce à une thérapie de conversion »). Choisir de se conformer à la norme, ce n’est souvent pas un vrai choix ; c’est céder à la pression, c’est sauver sa peau.

Ensuite, cette histoire d’homosexualité qui n’est pas un choix, c’est en fait le signe que les homophobes ont gagné la bataille des idées, des mots, des esprits, de la pensée. Formuler l’orientation sexuelle en termes de choix et de non-choix (et refuser aux homos certains droits, au motif « qu’ils/elles pourraient faire autrement »), c’est une rhétorique homophobe. Depuis quand faut-il qu’une personne n’ait pas le choix pour avoir les mêmes droits que les autres ? Cette histoire de choix, c’est un piège dans lequel beaucoup de militant.e.s se sont engouffré.e.s parce que c’était plus simple : « ce n’est pas un choix, alors faites avec ». Mais qui se rend compte à quel point la frontière est ténue entre « ce n’est pas un choix » et « ce n’est pas de leur faute » ? Et pourquoi parler de faute si ce n’est pour des choses honteuses, tristes ou anormales ? Les thérapies de conversion doivent cesser parce qu’elles sont monstrueuses. Les gays et les lesbiennes doivent avoir les mêmes droits que les autres parce que « les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en droits ». C’est tout.

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« A 35 ans, je suis devenue lesbienne. […] L’impression de changer de planète a été fulgurante. […] Et c’est une sensation géniale. »

Virginie Despentes, Le Monde, 9 juillet 2017.

 

C’est ainsi que Virginie Despentes, écrivaine, féministe, géniale, met en mots le moment où elle est tombée amoureuse de Paul B. Preciado (homme trans que Despentes a connu sous le nom de Beatriz).

Moi aussi, à 29 ans, je suis devenue lesbienne. 29 ans et quelques mois à peine, en pleine séparation amoureuse, je m’inscris au permis moto. Je sais que le moniteur est une monitrice, ça me plaît, je me dis que j’éviterai à la fois la potentielle lourdeur d’un moniteur sexiste et un rapport de « séduction » par lequel la bonne élève que je suis essaiera de faire plaisir au professeur. Eh.

Au bout de quatre heures de leçons, j’envoie des messages endorphinés à mes amies en leur disant que j’adore la moto. Au bout de huit heures de leçons, je suis sur le parking d’une boulangerie, un grand soleil bleu pleut sur mon visage et j’envoie un message à une amie dans lequel j’articule enfin ce qui m’arrive : « J’ai un maxi-crush sur ma monitrice de moto dont je ne sais presque rien. Je pense à elle souvent, j’ai plaisir à la voir, et c’est la première fois que j’ai envie de séduire une femme. »

Il me faut encore cinq mois pour passer de « cette femme me plaît » à « j’ai fait un cent quatre-vingts sur mon orientation sexuelle ». Nous sommes en août, la psychologue que je vois à l’époque me demande : « Et si c’était un homme, vous feriez xxx ? » Je réponds : « Non. Enfin, je ne sais pas… » Elle insiste : « Mais vous vous imaginez en couple avec un homme dans le futur ? » Et moi : « Euh… Je ne sais pas si j’imagine ressentir un truc pareil pour un homme. »

Et à l’instant où je dis ça, ça explose dans ma tête. La réalité force les portes de mon cerveau comme une lumière allumée trop tôt le matin. Je suis paniquée. A cause de tout ce que ça veut dire. Je n’ai pas envie d’être le L de « LGBT-phobie », moi.

L’hétérosexualité comme système politique

Se dévoile progressivement à mes yeux ce que j’avais entendu les militantes appeler « l’hétérosexualité comme système politique », sans bien le comprendre ni l’appréhender ni, à vrai dire, m’y intéresser franchement.

La prise de conscience démarre à la médiathèque. Il n’y a que des histoires d’hétéros et je ne suis nulle part. Les films. Les séries. Je recherche et fais miennes toutes les fictions qui me ressemblent un peu et me parlent. C’est vite vu. Les affiches dans la rue. La moindre silhouette figure un homme et une femme et je n’existe pas. On ne cherche jamais à me vendre les châteaux de la Loire et les cuisines aménagées. Je n’existe pas.

Je lève les yeux au ciel.

Les femmes sur les affiches. Toutes mettent en scène la même féminité putassière et inoffensive, celle dont le seul but est de plaire à l’Homme (hétéro). Parce que les femmes qui attirent mon regard, à moi, sont précisément celles qui se démarquent de cette féminité hétéro, celles qui semblent signaler qu’elles sont lesbiennes, potentiellement accessibles. Progressivement, je change de style vestimentaire et capillaire. Féministe, j’avais déjà largement laissé tomber les codes de l’Eternel Féminin, mais je passe la troisième. Je veux que ça se voie pour qui veut bien regarder.

L’hétérosexualité comme système politique, c’est aussi le fait que personne, jamais, n’envisage l’homosexualité comme une option. C’est cette femme qui demande : « Oh, tu as passé ton permis moto ? Tu t’es entichée d’un beau motard ? » C’est cet homme qui plaisante : « Tu verras, quand tu auras un compagnon à qui ça arrivera ! » C’est cette mère de trois jeunes garçons qui, découvrant que sa collègue a trois filles du même âge, s’écrit en souriant : « On devrait les présenter ! ». Comme si aucun.e de ces six-là ne pourrait être attiré.e par une personne de son sexe. L’hétérosexualité comme système politique, c’est aussi le regard un peu horrifié de cette même mère lorsque je rigole : « On ne sait pas, attendez, peut-être que vos garçons seront gays et ses filles lesbiennes ! » comme si j’avais dit quelque chose de sale. Comme si, par moi, la sexualité venait de faire irruption dans la vie de ces enfants de 3 à 7 ans, comme si l’attirance hétérosexuelle qu’elle mentionnait elle n’était pas sexuelle.

L’hétérosexualité comme système politique, c’est aussi cet animateur de radio qui s’exclame d’un ton mi-plaisantin, mi-lubrique : « Ah mais tu aimes les filles ? Oh lala…! » C’est cette sur-sexualisation et cette fétichisation des lesbiennes, qui sont une catégorie pornographique à part entière, quand 99% des personnes qui consomment de la pornographie ne sont pas des lesbiennes.(1) C’est le fait qu’il a fallu attendre 2019 pour que, sous la pression de collectifs de militantes lesbiennes, Google modifie son algorithme pour qu’une recherche avec le mot-clé « lesbienne » cesse de renvoyer uniquement vers des contenus pornographiques. C’est le fait qu’aujourd’hui, le premier lien renvoie à la définition wikipédia… et tous les autres à des contenus relatifs à la sexualité (Au féminin, Doctissimo, etc.). Comme si les associations militantes, les écrivaines, cinéastes, artistes, femmes politiques, et toutes les autres qui ont vécu en étant ouvertement lesbiennes étaient écrasées face au rouleau compresseur de cette identité imposée : la sexualité.

Invisibilisation, sur-sexualisation.

Premières victimes du patriarcat (un couple de femmes, c’est deux fois les inégalités de salaires, deux fois les violences physiques et sexuelles, deux fois toutes les inégalités et les violences structurelles en fait), les lesbiennes sont également la preuve qu’une femme n’a pas besoin d’un homme pour survivre. Par nécessité, les lesbiennes bricolent, soulèvent des trucs lourds, apprennent à se démerder là où les femmes hétéros (je le sais, je l’ai fait) auraient beau jeu de se glisser dans le rôle, confortable mais piégeux, de Celle Qui Ne Sait Pas (et laisse la responsabilité à l’autre de savoir ou d’apprendre).

Alors il faut voir ce qu’elles se prennent dans la tronche, les rares femmes médiatiques à avoir fait leur coming-out. (Qu’on pense aux « blagues » sur Amélie Mauresmo…)

Je suis le L de LGBT-phobie

Lorsque j’ai pris la main de la femme que j’aimais dans la rue, j’ai ressenti à la fois un immense bonheur et une pointe d’appréhension. Qu’allait-il se passer ? Cela fait partie des craintes que les hétéros autour de moi ont eu le plus de mal à comprendre : « Tu t’en fous du regard des autres, tu vis pour toi, pas pour eux. » Certes. Mais ayant milité dans une asso féministe aux côtés de lesbiennes, j’ai entendu les témoignages des couples de femmes : de la montagne de mecs lourds (« Eh les filles, je peux participer ? ») aux regards dégoûtés des gens qui font semblant de vomir, jusqu’aux agressions physiques et sexuelles. Etre une femme dans la rue, c’est déjà risquer (le harcèlement, les agressions…). Etre une femme lesbienne dans la rue, c’est multiplier. Quand environ une lesbienne sur deux a été victime de lesbophobie dans l’espace public, on ne peut pas s’empêcher d’avoir une pointe d’appréhension quand même.(2)

Le privilège hétéro, c’est donc de ne pas avoir à se poser de question avant de prendre la main de la personne qu’on aime dans la rue.

C’est aussi pouvoir dire « mon copain » ou « ma copine » sans appréhender la réaction de la personne en face. J’ai récemment cherché (et trouvé !) un garage à louer à un monsieur âgé. Je lui ai parlé, à l’oral, de « mon ami(e) » (le féminin ne s’entend pas), craignant qu’il ne change d’avis et décide de ne plus me louer son garage en apprenant ma sexualité. Moi, parano ? Peut-être, mais des centaines de milliers de personnes de La Manif Pour Tous ont battu le pavé pendant des mois pour expliquer que ma copine et moi ne devrions pas avoir les mêmes droits que tous les autres. Et, à l’automne, des torrents médiatiques se sont à nouveau déversés sur nous, bramant que nous étions congénitalement incapables d’élever un.e enfant. Marrant, dans mon cas, d’ailleurs : l’année dernière, je pouvais ; cette année, je ne peux plus ?

Je suis donc le L de LGBT-phobie.

J’ai donc dû réfléchir à la manière de dire à mes frères que j’étais tombée amoureuse ! Ça ne s’est pas bien passé, surtout avec l’un, qui m’a dit qu’il lui faudrait du temps pour l’accepter et, de surcroît, m’a trouvée « dure » lorsque je lui ai fait remarquer à quel point c’était blessant. Parce qu’on me marche sur le pied et qu’il faudrait que je dise « Aie ! » plus doucement.

Même les personnes qui n’ont eu absolument aucun problème ni aucune réticence lorsque je leur ai parlé de notre histoire n’ont pas toutes compris ma déception et ma douleur. « Vue leur homophobie, ça s’est plutôt bien passé ! Franchement, tu t’attendais à quoi ? » Bah, je ne sais pas… A ce que l’annonce soit un non-événement ? A être traitée normalement ? A être traitée très exactement comme je l’étais une minute avant de parler de la femme que j’aime ?

Et maintenant ?

On ne peut pas décider de devenir lesbienne, mais on peut accueillir la possibilité avec enthousiasme. Quand ça m’arrive, de tomber amoureuse d’une fille, je comprends immédiatement que c’est une super chance. Que c’est la chance de ma vie, presque, et que je ne vais pas la laisser passer. Et après, la question que je me pose, c’est : « pourquoi pas avant ? ».

Virginie Despentes, Podcast « Les couilles sur la table », 03 octobre 2019.

J’éprouve tellement de reconnaissance pour Virginie Despentes. Pour son existence, publique, et pour ces mots qu’elle me donne pour penser ce qui m’arrive.

« Pourquoi pas avant ? » Je me demande. Je ne sais pas. Certaines militantes du lesbianisme politique expliquent que le désir hétérosexuel est une construction sociale, comme par exemple le désir d’enfants ou le goût pour le rose chez les femmes. Ça ne veut pas dire que certaines femmes ne peuvent pas avoir profondément envie d’enfants ou aimer réellement le rose. Mais ça veut dire que ça vaut le coup de se poser deux minutes pour examiner la chose (« déconstruire », disent les militantes). Est-ce que j’ai vraiment envie d’enfant ou est-ce que ça semble juste « la suite logique » pour mon couple ? Est-ce que j’aime le rose ou est-ce qu’il y en a juste partout ?

Qu’est-ce que je ressens pour les femmes que je croise ou qui m’entourent ? Le fait de trouver telle femme belle, magnétique, est-ce juste de la sensibilité à ce qu’elle dégage elle, ou est-ce une attirance pour les femmes en général ? Cette amitié si forte avec Unetelle, cette impression de se comprendre sans se parler, cette envie de passer beaucoup de temps avec elle, est-ce réellement de l’amitié ou une attraction amoureuse ? Si j’ai du mal à dire « je t’aime » à un homme, si je me demande si je suis vraiment amoureuse, si je ne me projette pas à long terme avec mon conjoint, est-ce parce que je ne l’aime pas assez lui ou est-ce parce qu’il y a quelque chose en moi qui ne s’aligne pas ?

Mais c’est évident que c’est une super chance, et je n’envie pas les femmes hétéros féministes qui, en plus de devoir lutter contre le patriarcat à l’extérieur, le ramènent aussi dans leur vie intime.

« Et les hommes féministes alors, ça n’existe pas ? » Si, ça existe. Mais, sauf exception que je n’ai pas rencontrée, les hommes féministes ne vivent pas l’oppression, ils se la font expliquer… par des femmes… qui la vivent, puis la conscientisent, puis la théorisent comme phénomène social, qui ne les touche pas seulement elles, mais toutes celles de leur sexe. Etre lesbienne, c’est échapper pour toujours aux explications, à la pédagogie, au combat ordinaire contre la charge mentale, les stéréotypes et les pressions de l’extérieur.

Et maintenant ? Je vais me frayer un chemin dans l’univers hétéro-patriarcal (wesh), être « out », autant que faire se peut, parce que ce monde a besoin de visibilité lesbienne, lever le pied sur le militantisme public parce que mon quotidien est au croisement du sexisme et de l’homophobie et qu’il me faut des forces pour la vie de tous les jours, et aimer, aimer passionnément la femme qui donne des couleurs au soleil.

 

 

 

 

*** Sources : ***

(1) Smith C., Attawood F. et Barket M., « Les motifs de la consommation de pornographie », in Voros F. (dir), Cultures pornographiques, Anthologie des Porn studies, p. 256.

(2) Près d’une lesbienne sur deux a été confrontée à la lesbophobie dans l’espace public (45%). Arc S. et Vellozzo P., « Rendre visible la lesbophobie », Nouvelles questions féministes, 2012-1, vol. 31, pp. 12 à 26.

Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’oeil intelligent sur soi-même.

Marguerite Yourcenar, Les mémoires d’Hadrien.

Je suis née en patrie féministe il y a dix ans. Dix ans. Joyeux anniversaire.

Le féminisme est une fièvre ; grandissante, prosélyte et incurable. Hélas.

Je suis à cette étape de mon féminisme où, depuis de long mois, j’en interroge le sens. A quoi me « sert »-il ? Je suis dans un état de rage quasi-permanent face aux oppressions systémiques vécues par mon sexe. Où que je regarde, de quelque côté que je me tourne, m’explosent au visage des inégalités flagrantes et insupportables. Essayez !

Santé : Les femmes présentant tous les symptômes de l’AVC reçoivent moins souvent que les hommes (32% contre 41%) le bon diagnostic, les médecins attribuant souvent ces symptômes à de simples migraines ou vertiges. Elles sont plus nombreuses que les hommes à renoncer aux soins médicaux (+/- 6 points).

Sport : Les footballeuses professionnelles françaises touchent en moyenne 96% de moins que leurs homologues masculins. Celles qui évoluent dans les grands clubs français touchent en moyenne 4000€/mois contre 75 000€ mensuels en moyenne pour leurs homologues masculins.

Culture : Seules 22% des récipiendaires des grands prix littéraires français sont des femmes. Elles ne représentent que 33% de la programmation théâtrale française.

Sexualité : Les femmes sont 52% à déclarer avoir « souvent » ou « parfois » eu des rapports sexuels pour faire plaisir à leur partenaire sans en avoir eu vraiment envie elles-mêmes, contre 25% des hommes.

 

Ad libitum. Ad nauseam. Je repense à d’autres luttes majeures pour les droits des êtres humains et aux siècles d’oppression, et je me dis qu’il se pourrait bien que celle-ci durât encore longtemps.

Dans mes bons jours, je me laisse entraîner par l’idée que le féminisme a toujours été une bataille contre son temps. On n’est jamais féministe pour des droits acquis, même si on doit en permanence à la fois gratter le mur de tout un système avec ses ongles pour espérer l’éroder, et simultanément garder avec vigilance et férocité les fragments décrochés contre celles et ceux qui, vautours, rôdent avec l’espoir de les remettre.

Dans mes bons jours, je pense que c’est parce que des rangs entiers de féministes sont mortes en terre patriarcale que d’autres se lèvent et vivent avec des chaînes moins lourdes à porter. Et peut-être, rang après rang, toutes ces féministes dont j’aurai été auront construit une société plus libre pour les femmes.

Souvent, je me sens si fatiguée.

Ces belles idées brisent contre des centaines de petits épuisements quotidiens : expliquer (« ça, c’est sexiste »), dénoncer (« ça, c’est sexiste »), interrompre et corriger (« ça, c’est sexiste »)… Le mur est là. Toujours là. Solide. Mes ongles saignent, mes yeux pleurent, et nos conquêtes me semblent des poussières.

En dix ans de mon féminisme, qu’est-ce qui a changé ? Les chiffres ne vacillent même pas (1) et, à part quelques unes de magazines (2) qui me laissent à penser qu’on occupe peut-être une place, je peine à identifier ne fût-ce qu’un bouleversement social d’ampleur, dont nous pourrions nous enorgueillir et qui nous servirait de marchepied. (J’ouvre ici une parenthèse pour donner mon avis sur une modification majeure, récente et langagière : en parlant désormais de « violences sexistes et sexuelles » en lieu et place de « violences faites aux femmes », j’estime qu’on occulte mieux le rapport de domination qui touche un sexe et en favorise un autre.)

2009-2019. Dix ans après, qu’est-ce qui a changé ?

Moi. Le changement est en moi.

Commençons là : il est plus que temps de témoigner admiration et reconnaissance envers les féministes qui ont subi mes approximations, mes idées arrêtées et mes erreurs. Je dois à la patience de leur pédagogie le féminisme qui m’anime aujourd’hui, et que je m’efforce de maintenir inclusif en dépit de mon conditionnement social âgiste, classiste, grossophobe, homophobe, islamophobe, lesbophobe, raciste, transphobe, validiste… (3)

A 29 ans, mon féminisme me fournit la force jour après jour de devenir qui je veux être. Il est ce roc depuis lequel je refuse ce qui ne me convient pas et avance vers ce à quoi j’aspire.

Je porte moins de soutiens-gorges parce que ça n’a pas de sens et que je ne veux plus ; avec mon 90A, j’apprends doucement à embrasser cette nouvelle silhouette dans le miroir, à m’aimer, à être fière. J’ai fait des sports de combat « violents » (krav-maga et boxe thaïe) et je le proclame haut sans craindre d’effrayer. Je n’abdique pas ma liberté professionnelle. Je refuse les relations proches avec les personnes qui ne sont pas féministes, parce que c’est une base solide pour établir le respect de moi-même. Je ne perds pas de temps avec les personnes qui ne sont pas féministes ; « je séduis qui me séduit ». (4)

Mon féminisme me donne la force d’agir et d’aligner mes actes sur mes convictions. Mon féminisme, il défend toutes les femmes, mais il me défend d’abord moi. Moi, le respect auquel j’ai droit, toutes les choses auxquelles j’ai droit.

Mon féminisme, il défend toutes les femmes, mais même s’il ne « sert » qu’à moi, il en vaut la peine.

 

***

(1) https://www.ipsos.com/fr-fr/violences-sexuelles-pourquoi-les-stereotypes-persistent

(2) La nouvelle terreur féministe, Valeurs actuelles, mai 2019.

(3) Ordre alphabétique.

(4) Christiane Taubira : https://www.franceinter.fr/emissions/femmes-puissantes/femmes-puissantes-29-juin-2019

Je suis rentrée de vacances la semaine dernière. A l’étranger, j’ai pris un bus jusqu’à l’aéroport, un avion jusqu’à Paris-Beauvais, une navette jusqu’à la Porte Maillot, et deux métros jusqu’à l’immeuble du copain du copain (oui-oui : à Paris, en août, il n’y a plus grand monde à mobiliser !) sur le canapé duquel je devais m’effondrer pour la nuit.

C’est au pied de son immeuble qu’il m’a proposé de monter les 12 kg de ma valise au 4e étage, chez lui. Crevée, j’ai failli accepter quand mon surmoi m’a rattrapée par le col, de justesse : « Hep, hep, hep, tu fais quoi, là ? Tu veux l’égalité ou pas ? On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, alors TU PORTES TA VALISE. » Et j’ai porté ma valise.

C’est quand même pénible, d’être une femme forte et indépendante. La plupart du temps, ça consiste surtout à se foutre des coups de pieds aux fesses pour faire les trucs toute seule.

Sur le principe, effectivement, on ne peut pas avoir tout et son contraire, réclamer l’égalité et se rétracter dès qu’il faut porter un truc lourd.

Mais, au quotidien, il m’apporte quoi, mon féminisme ? Comme une femme sur cinq, je me prends des remarques sexistes dans la tronche au travail. Comme toutes les femmes (98%), je subis des agressions verbales quand je me promène dans la rue. Je regarde les mêmes séries sexistes, les mêmes films sexistes que tout le monde, j’écoute les mêmes musiques sexistes, je vois les mêmes pubs sexistes que le ou la non-féministe de base. Je ne vis avec personne, donc je n’ai même pas la satisfaction de me dire que mon ou ma partenaire fait sa part des tâches ménagères.

En revanche, je paye ma part au restau, je porte des cartons, des matelas, des canapés-lits quand il faut déménager, je soulève des valises quand il est 23h. Alors, alors ?

 

Nous vivons à l’ère de la performance et sous le regard des autres. La productivité chiffrée est devenue la mesure de la valeur individuelle, les réseaux sociaux ont entraîné un vaste mouvement de mise en scène de soi et de comparaison accrue avec autrui.

Dans ce contexte, qu’en est-il des femmes, qui, à la différence des garçons que l’on éduque à la prise de risque, sont conditionnées très tôt à être de bonnes petites soldates dociles ?

 

Dans leur vie professionnelle…

Les femmes gagnent toujours, en moyenne, 455€ de moins que les hommes chaque mois. Cela revient à une perte de 235 000€ à la fin d’une carrière de 43 ans. Le montant des retraites perçues par les femmes est toujours, en moyenne, de 671€ de moins que celui des retraites des hommes, et l’écart se creuse depuis 2004. Toutes situations confondues (jeunes, seniors, ayant des origines migratoires, n’en ayant pas, vivant dans l’Hexagone et dans les outre-mers), ce sont les femmes qui sont les plus pénalisées sur le marché de l’emploi.

Les femmes doivent en faire bien plus pour être reconnues, par autrui mais aussi par elles-mêmes. (Les études sur l’estime d’elles-même, dès très jeunes, des filles par rapport aux garçons sont à cet égard confondantes. Pour l’anecdote, l’ensemble des chef(fe)s de service de ma structure se sont vu proposé du coaching individuel. Je vous le donne en mille : sur neuf personnes, toutes les femmes sauf une ont accepté avec enthousiasme ; aucun homme n’a estimé en avoir besoin.)

Si une femme est trop autoritaire, elle sera qualifiée de harpie. Si elle est trop permissive, on trouvera qu’elle manque de capacités managériales. Trop proche de la direction, on l’accusera d’utiliser ses charmes. Trop distante, on lui reprochera de manquer de qualités humaines. Ambitieuse, on la verra comme un requin dont les dents rayent le plancher. Peu carriériste, on songera qu’elle gâche ses possibilités et on refusera de la prendre au sérieux. Qu’elle fixe des limites à sa présence en entreprise pour être plus disponible pour sa famille, et on la cataloguera comme n’étant pas fiable. Qu’elle ait simplement des enfants, et on verra leur existence comme une épée de Damoclès au-dessus de son investissement professionnel. Que son conjoint s’occupe des enfants, et on la verra comme une machine froide et son compagnon comme une créature entre le martyr des temps modernes et le castré façon Renaissance. Qu’elle ose seulement assister à une réunion sans l’avoir bien préparée : elle n’aura pas les épaules pour le poste.

 

Dans leur vie personnelle…

Les femmes ont acquis, de haute lutte, le droit à disposer de leur corps et à exercer ce droit par le biais de l’Interruption Volontaire de Grossesse. (Je passerai volontairement sur les fermetures massives de structures publiques, qui mettent en danger l’exercice effectif de ce droit.) En conséquence, la maternité est devenue largement choisie. Et puisque devenir mère est devenu un choix, les femmes ont à présent l’obligation de réussir aussi cet aspect-là de leur vie.

Il faut faire des enfants épanoui(e)s, auxquel(le)s on fixe des limites sans brider leur créativité, auxquel(le)s on propose des loisirs sans les transformer en machines. Il faut suivre leur scolarité sans leur mettre de pression excessive, les pousser sans les étouffer, leur donner le choix tout en les empêchant de prendre de mauvaises décisions. Il faut éduquer sans crier, faire attention à l’équilibre alimentaire. Et surtout, surtout, il faut être heureuse en tant que mère. Il faut aimer ses enfants par-dessus tout, se sacrifier de bonne grâce, ne jamais se plaindre de la charge qu’ils/elles font peser sur le quotidien et l’organisation. La mère parfaite est une mère qui se dévoue et qui sourit.

Les magazines féminins ont ajouté à cette pression-là celle de réussir son couple et, tant qu’à faire, sa vie sexuelle. Il faut baiser régulièrement, et jouir à chaque fois. Il faut essayer de nouvelles positions, de nouvelles pratiques, de nouveaux et nouvelles partenaires. Il faut réinventer son couple, avoir peur de la routine, partir en vacances, maigrir avant les vacances, s’entendre avec les ami(e)s de l’autre, avec sa famille.

 

MERDE.

Je revendique, au nom de toutes les femmes, le droit à être imparfaites et à faire des erreurs.

Au boulot, parfois, nous manquons de tact, nous nous laissons envahir par le flux des tâches à accomplir sans prioriser, nous arrivons sans être bien préparée, nous demandons à partir plus tôt pour aller chercher nos enfants à l’école, nous sommes en retard sur une tâche à accomplir, nous insistons lourdement pour obtenir une promotion, nous laissons passer une possibilité de promotion.

Dans notre couple, parfois, nous nous engueulons, nous sommes de mauvaise foi, nous nous laissons marcher sur les pieds, nous faisons l’amour un peu par habitude, nous ne jouissons pas, nous ne baisons plus, nous restons célibataires longtemps, nous nous accrochons à nos principes sans vouloir faire de compromis.

En tant que mères, parfois, nous laissons passer des comportements problématiques, nous sur-investissons la scolarité de nos enfants, nous imposons des règles rigides, nous crions, nous nous énervons, nous cuisinons des pâtes ou des conserves.

Nous faisons du mieux que nous pouvons, nous sommes humaines, nous échouons, nous tirons les leçons de nos échecs, nous nous excusons, nous tâchons de faire mieux la fois suivante, et la fois suivante, parfois nous réussissons, parfois nous ne réussissons pas. Nous naviguons à vue dans ce grand espace qu’est la vie, et nous réclamons simplement QU’ON NOUS LÂCHE LA GRAPPE.

Moi, les droits des femmes, c’est mon gagne-pain. Alors vous pensez bien qu’à l’annonce du premier gouvernement Philippe, j’étais toute frétillante. Le nom de l’heureuse élue ayant été annoncé, il est temps de regarder d’un peu plus près ce qu’elle nous prépare.

 

J’ai attendu le nom de la Ministre toute la journée d’hier. Je me rappelais encore des annonces du candidat Macron : « Je ferai de l’égalité femmes-hommes la cause nationale du quinquennat. Sans cela, on se prive de la force de notre société. » ; « Il y aura un Ministère plein et entier des droits des femmes. » 15h, bim-boum, comme au bac les résultats tombent. Marlène Schiappa est nommée Secrétaire d’Etat à l’égalité femmes/hommes. Habonbabon. Eh ben pour un Ministère de plein exercice, on repassera. C’est dommage, parce qu’il est déjà difficile de faire entendre que les droits de la moitié de l’humanité sont un sujet important, si en plus nous n’avons même pas droit à une Ministre pleine et entière, il va être encore plus compliqué de faire du bon travail.

Passons.

Mais alors, du coup, qu’est-ce qu’elle a dans le ventre, Marlène Schiappa ?

Son cheval de bataille : favoriser l’égalité professionnelle

Elle est la fondatrice du blog « Maman travaille », qui met en avant les difficultés rencontrées par les femmes qui ont une famille et une carrière professionnelle : culture du présentéisme, réunions tardives, difficultés pour trouver des places en crèches… Elle reprend à son compte l’expression « le plafond de mère », utilisée pour expliquer comment la maternité est un frein à la carrière professionnelle des femmes.

Tout cela est bel et bon et Marlène Schiappa soulève de vrais problèmes, de vrais freins. Certes, la société française, les entreprises et les administrations devraient être organisées de manière à prendre en charge partiellement la maternité, et ainsi en décharger les femmes. Cependant, raisonner comme cela laisse complètement de côté la question de la place des hommes dans la parentalité. De facto, les femmes prennent en charge la vaste majorité des tâches domestiques : 1h30 de plus par jour soit 10h30 de plus par semaine que les femmes n’ont pas pour elles, pour voir leurs ami(e)s, lire des livres, faire de la sculpture sur soie… Mais tant qu’on n’aura pas une discussion approfondie autour des conséquences de la parentalité (et non de la maternité), et donc tant qu’on ne réfléchira pas à une manière d’envisager la parentalité comme une charge qui pèse sur les deux membres du couple, et aux façons de répartir équitablement cette charge, on n’en sortira pas.

Conséquemment, les mesures d’Emmanuel Macron, basées sur le travail et les propositions de Schiappa, ne suffiront pas.

Marlène Schiappa veut par exemple créer un congé maternité unique pour toutes les femmes, quel que soit leur statut. C’est bien. Il est effectivement injuste qu’une commerçante soit moins protégée qu’une salariée. Cependant, là encore, on n’envisage l’enfant que sous l’angle du poids qu’il fait peser sur la mère, que l’on tente de soulager, au lieu de réfléchir à l’implication des pères. 

Il aurait été intéressant de réfléchir aussi, en plus, en même temps, à des mesures destinées à favoriser le congé paternité : en le rémunérant mieux, en créant un arsenal législatif et juridique protecteur, pour garantir le retour des hommes dans l’entreprise après le congé et interdire les discriminations sur cette base, voire en le rendant obligatoire, dans une certaine mesure et sous certaines conditions.

De même, il est indispensable de s’intéresser aux scandaleux écarts de salaires qui subsistent encore (les femmes gagnent en moyenne 455€ de moins que les hommes chaque mois, soit 235 000€ à la fin d’une carrière professionnelle). La proposition de l’équipe En Marche, menée sur ce sujet par Schiappa, consiste à effectuer des contrôles aléatoires dans les entreprises, pour vérifier que les salaires sont égaux pour les hommes et les femmes, à compétences égales.

Il faut croire que la dite équipe ne s’est pas suffisamment penchée sur le problème des écarts de salaires. En effet, seule une dizaine de pourcentage de l’écart est due à une discrimination pure : à postes et compétences égales, les femmes sont moins payées. Mais la plus grosse partie de l’écart est due à d’autres facteurs (sur ce sujet, voir mon article précédent : L’intersectionnalité ou le piège de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes). Dans leur majorité, les contrôles ne donneront rien. On dépensera beaucoup d’argent public pour constater que le problème est ailleurs : dans l’éducation des enfants, dans les stéréotypes qu’on continue à ingurgiter et à transmettre.

Ainsi, tant qu’on ne s’attaquera pas frontalement à la formation des professionnel(le)s en contact avec les enfants (éducation nationale, accueils collectifs de mineurs, centres de loisirs, conseillers et conseillères d’orientation, BAFA, etc.), on continuera à se heurter aux mêmes problèmes.

Mouvement des élu(e)s français(es) pour l’égalité

Avec d’autres élues, Marlène Schiappa a fondé le Mouvement des élu(e)s français(es) pour l’égalité.

Parce que nous pensons que c’est à l’échelon local que nous pouvons agir pour l’égalité, lutter contre les discriminations, les inégalités, les stéréotypes; mais aussi le déterminisme social, la victimisation et le communautarisme qui pèsent parfois dans nos milieux.

La victimisation et le communautarisme ? La « victimisation », tu veux dire comme dans les enquêtes faites à échéances régulières par le Ministère de l’Intérieur, et qui nous montrent bien à quel point les chiffres des violences faites aux femmes baissent peu : chaque année, on recense 118 meurtres en raison de violences conjugales, 223 000 victimes de violences par leur partenaire de vie, 84 000 viols ou tentatives. Chaque année.

Et le communautarisme ? Ah, tu veux sans doute parler de ces affreux musulmans qui oppressent leurs femmes alors que nouzot’, non-musulman(e)s, on ne le fait pas, comme le montrent bien les chiffres qui précèdent. Comme dit l’autre : « Une femme qui gagne 20% de moins, qui subit le sexisme et qu’on assimile encore aux tâches ménagères doit avoir les cheveux libres !« 

Et sur le fond ? Éducation aux stéréotypes et à l’égalité

Le combat en faveur des droits des femmes est difficile et long, parce qu’à la racine des nombreux problèmes évoqués jusqu’à présent, se trouvent des questions fondamentales, de culture de société. Ce n’est que par l’éducation à l’égalité, à l’émancipation des stéréotypes qu’on permettra aux jeunes de construire une vie qui ressemble un peu plus à ce qu’ils/elles veulent, et un peu moins à ce qu’ils/elles croient qu’ils/elles devraient faire.

Et sur le volet des stéréotypes, on ne peut pas dire que Marlène Schiappa parte sans handicap. En 2011, elle a publié aux éditions « La Musardine » un livre ayant pour titre Osez l’amour des femmes rondes. DariaMarx fait une analyse détaillé du tissu de clichés insultants que constitue ce livre. Pour ma part, je me contenterais de citer un extrait de son article :

–       Ne vous goinfrez pas en public. On mangera une sucette, pour rappeler l’aspect phallique du geste, mais pas un sandwich, qui pourrait faire penser à  votre indélicate surcharge pondérale.

–       Dansez, mais seulement si vous savez. Inutile d’essayer d’imiter vos copines minces qui se trémoussent sans avoir pris de leçons. Vous auriez l’air d’un tas. Prenez des cours de salsa, par exemple, car sinon, vous risqueriez  « d’incarner l’absence de maîtrise de soi »

–       Ne vous ruez pas sur la bouffe comme une candidate de Koh Lanta après un jeune forcé. C’est bien connu, les grosses ingurgitent des tonnes de nourriture en public, et cela sans aucune retenue. Sachez vous tenir, merde ! L’auteure vous conseille de « ne pas prendre de dessert si personne d’autre n’en prend à votre table » et surtout « de ne pas demander de doggy bag » (?!)

–       Mentez sur votre poids quand vous draguez en ligne ! Mais pas trop ! Juste ce qu’il faut pour attirer un maximum de mecs ! Vous vous arrangerez  avec la vérité une fois le temps du rendez-vous arrivé ! Si vous avouiez votre vrai tonnage, personne ne voudrait de vous, bien sûr.

–       Soyez drôles, mais pas trop. La femme grosse a l’obligation d’être marrante, mais ne doit pas oublier que sa priorité doit toujours rester sa soumission totale à l’homme. Elle préfèrera donc rire aux blagues pourries de son compagnon plutôt que de se lancer dans un récital de vannes. […]

–       On suit la mode, mais pas trop. Parce que soyons honnêtes, les grosses ne peuvent pas tout mettre. Contentez vous donc de mettre une jolie broche, d’accessoiriser.

Le blog FauteusesDeTrouble complète l’analyse :

[L]a deuxième partie de l’ouvrage se fonde sur le syllogisme, plutôt contestable, que la grosse est grosse parce qu’elle est épicurienne, et que, très logiquement, si elle aime bouffer, elle aime aussi baiser. CQFD. C’est pourquoi elle sera bonne au lit et en cuisine : on trouve alors des recettes de cuisine à côté de recettes de fellation. Edifiant.

Euh… Vraiment ? Vraiment ?

Que dire ? « Bienvenue, madame la Secrétaire d’Etat à l’égalité femmes/hommes » ?

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Il ne vous aura pas échappé que je suis une femme.

Il se trouve que, après avoir fait du krav-maga pendant un an, je me suis mise à la boxe thaïe.

Cela a d’ailleurs donné lieu à un moment très drôle, lorsque mon chef l’a appris :

« Non, ce soir, je ne peux pas rester, c’est le soir où je vais à la boxe.

— Ah-ha ! Tu fais de la boxe ? Française ? 😀

— Thaïe.

— Outch. »   >_<

 

Je suis donc dans un club composé en très grande majorité d’hommes, souvent trentenaires ou quadragénaires. Quelques femmes sont là également, souvent très jeunes (entre quinze et trente ans).

L’instructeur est très attentif à ce que nous, femmes, ne nous fassions pas démolir le portrait par des mecs peu scrupuleux, et surveille de près nos combats. Cela est d’ailleurs inutile, puisque les gars eux-mêmes sont très respectueux, surtout les plus avancés. Les seules fois où je me suis pris une beigne, elles m’ont été infligées par des débutants, qui se sont confondus en plates excuses après coup (c’est le cas de le dire).

 

Bref, la dernière fois je me suis fait une réflexion : dans ce sport d’hommes, encore plus en tant que débutante, je fais beaucoup d’effort pour être prise au sérieux. Je ne manque jamais aucun entraînement, j’arrive en avance, je m’entraîne, je me concentre pendant les combats, j’écoute le coach. Jusqu’ici, ce n’était même pas conscient : pendant toute une partie de l’année, je l’ai fait, point. Ce n’est que la dernière fois, en constatant le nombre de gars qui avaient successivement manqué des séances et qui étaient accueillis chaleureusement à leur retour, que j’ai pris du recul sur ma pratique.

Les gars, eux, peuvent papoter pendant l’échauffement, se marrer pendant l’entraînement, faire les mouvements à la va-comme-je-te-pousse. Ils sont légitimes, à leur place dans ce gymnase. Ils ne se posent sans doute jamais la question. Les filles, les quatre filles qui pratiquent avec moi, sont attentives, veulent progresser, se concentrent, tâchent de frapper fort, de dépasser leurs limites. Bien sûr, elles partent de plus loin : à l’exception d’une seule, les filles sont toutes débutantes, alors qu’il y a des anciens parmi les hommes qui pratiquent dans ce club.

 

Cela explique peut-être en partie que le coach soit plus proche des hommes. Mais c’est frustrant pour moi, par exemple. J’ai parfois l’impression qu’il ne me prend pas autant au sérieux ou, du moins, qu’il faut que j’en fasse beaucoup plus pour acquérir  une légitimité. Ainsi, j’ai manqué deux semaines d’entraînement, et il m’a fallu plusieurs semaines avant que le coach ne recommence à me faire des remarques destinées à me faire progresser. Je n’ai pas remarqué la même attitude envers les hommes du club.

Est-ce que c’est une déformation féministe ? Ou est-ce que réellement il en va des sports masculinisés comme de nombreux endroits de ma vie : je dois en faire deux fois plus pour être à la hauteur, et lorsque je chute, on me le pardonne moins ?

Et j’ai repensé à ce trait d’humour : « Nous aurons acquis l’égalité entre les sexes lorsqu’une femme pourra être nommé sur un poste pour lequel elle n’a aucune compétence. » Transposé au sport, pourrait-on dire que nous aurons acquis l’égalité entre les sexes lorsque les femmes s’autoriseront à pratiquer un sport masculinisé comme on pratique un loisir, et lorsque les coachs les prendront autant au sérieux que les hommes ?

 

C’est quand même symptomatique. A chaque fois qu’il est fait mention de violences faites aux femmes (au sens large), il se trouve toujours un pingouin ou une pingouine (mais c’est plus rare, ce serait-ce que parce que la langue française n’a pas prévu de mot pour désigner un pingouin femelle), il se trouve toujours une personne, donc, pour déplacer l’attention sur la minorité d’hommes victimes. Oui, l’organisation sexiste de notre société pèse sur les hommes comme sur les femmes. Mais dans la vaste majorité des cas, les victimes du sexisme, ce sont des femmes.

L’une des manières récurrentes de tirer la couverture à soi est de parler de ces nombreux pères chez qui ces méchants juges aux affaires familiales refusent injustement de fixer la résidence principale de l’enfant. Une bonne fois pour toutes, rétablissons la vérité.

Dans 80% des cas, les deux parents sont d’accord sur le lieu de la résidence principale de l’enfant. Le juge homologue leur décision dans 99,8% des cas. Il fixe une résidence chez la mère pour 71% des enfants, la résidence chez le père pour 10% et la résidence alternée pour 19% d’entre eux.

Les cas de désaccord ne représentent que 10% des cas de divorce. Dans ces cas-là, le juge prononce à 63% une résidence chez la mère, à 24% une résidence chez le père, à 12% une résidence alternée. Comparées aux décisions homologuant les choix établis en commun par les parents, lorsque le juge est amené à trancher, il prononce plus de deux fois plus de résidence chez le père (24% contre 10%).

Maintenant, partons du principe que, en cas de désaccord, l’ensemble des résidences fixées chez la mère

relève d’une spoliation du père. Cela supposerait qu’il serait bon et juste d’accorder la résidence principale au père dans la totalité des cas. Vous m’accorderez que c’est compter très large. Même en comptant ainsi, donc, cette spoliation n’intervient que dans 6% de l’ensemble des cas de divorce.

A présent, partons de l’hypothèse plus vraisemblable que, pour les cas de désaccord, il faudrait fixer la résidence principale chez la mère et chez le père à égalité, dans 50% des situations. Dans ce cas, la spoliation des pères intervient dans 2% de l’ensemble des cas de divorce.

Que cela soit dit une bonne fois pour toutes : l’obstacle principal à la fixation de la résidence principale chez le père, c’est le père.

Source : La résidence des enfants de parents séparés, De la demande des parents à la décision du juge, rapport du Ministère de la Justice de novembre 2013

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Je n’ai pas toujours eu conscience du degré de sexisme et des discriminations pratiquées envers les femmes. J’ai longtemps intégré certaines situations comme courantes, donc normales. Le degré de violence, parce que fréquemment rencontré, ne m’a pas toujours sauté aux yeux. J’en suis venue à me dire que le problème des comportements sexistes n’était pas tant leur invisibilité en tant que telle, mais bien, au contraire, leur prédominance. Nombreuses sont les personnes, hommes ou femmes, pour qui les comportements sexistes ont « toujours existé », sont au choix « des blagues de potache » ou le fait de gens qui « ne pensent pas à mal ». Afin de sortir le sexisme de son invisibilité, afin de mettre à jour ce que subissent les femmes au quotidien et qui n’est pas normal, je me suis donc demandé à quoi ressemblerait un monde qui pratiquerait le même genre de discrimination envers les hommes.

 

Episode 1 : Choisir des vêtements pas trop sexys, ne pas déjeuner, enfiler des chaussures à talons, se faire toucher les fesses dans les transports

Il est 7h30 lorsque la sonnerie du réveil tire Gilles de son sommeil. Les yeux embrumés de fatigue, il se dirige vers son placard

afin de choisir ses vêtements. Tandis que son intellect se remet doucement en marche et que les pensées commencent à prendre une forme cohérente, il attrape mécaniquement un pantalon noir acheté la semaine précédente. Le problème de ce pantalon, c’est qu’il moule ses fesses, et Gilles n’est pas très à l’aise avec les regards féminins qu’il provoque en s’habillant ainsi. Il hésite : il aime beaucoup ce pantalon, mais pour aller travailler, mieux vaut ne pas mettre son corps trop en valeur. Gilles soupire, rêvant d’un monde où les femmes qui dirigent son équipe feraient moins attention au physique des hommes, et plus à leurs capacités cognitives, en cessant d’opposer les deux. Il opte finalement pour un pantalon droit, plus large. La chemise est plus rapide à choisir : blanche. Il a essayé de mettre une chemise jaune clair une fois, mais les commentaires des ouvrières du bâtiments sur son chemin l’ont décidé à la garder pour des moments entre ami.e.s ou en famille. En plus, blanche, c’est bien, ça fait professionnel. Veste, cravate.

 

Attablé devant son café, Gilles pince machinalement le gras de son ventre. Ses yeux se pose sur le magazine auquel il est abonné : cet homme en couverture est vraiment très beau. Gilles rêve d’avoir son corps ! D’ailleurs, à l’intérieur du magazine, figure un tas de conseils pour maigrir et se muscler, et Gilles s’est promis de perdre un peu de poids. Il se trouve gros. Du coup, pas de tartines ce matin. Il aura un peu faim, mais c’est le prix à payer pour être présentable sur la plage cet été.

 

Au moment de partir, Gilles enfile les chaussures que portent tous les hommes du département dans lequel il travaille. Il a appris à marcher avec en ayant l’air à l’aise, ce qui n’était pas évident au départ. Mais, bien que ces chaussures soient plus serrés et moins confortables que les tennis qu’il affectionne, il ne peut envisager de mettre autre chose pour aller travailler. Les chaussures lui donnent une démarche plus sûr de lui, et les dirigeantes trouvent que les chaussures des employés renvoient une certaine image de l’entreprise. Alors Gilles a investi dans trois paires de ces chaussures serrées auxquelles il s’est finalement habitué un peu, même s’il lui arrive encore d’avoir mal au pied et au dos en fin de journée.

 

Gilles a la chance d’habiter à quelques pas d’un arrêt de bus. Avec les années, il a pris l’habitude faire un petit détour pour arriver pile

sur l’arrêt de bus, au lieu de passer devant l’entrée de la gare. Cela lui évite les commentaires désobligeants des femmes qui ne manquent jamais de l’apostropher : « Eh, mec, t’es bien foutu ! Tu viens me lécher ! Eh, je suis sûre que t’en a une grosse, viens me montrer ! » Ce qu’elles peuvent être vulgaire. Gilles a horreur de ces remarques, il ne sait jamais comment réagir. Evidemment, ces femmes ne s’en prennent jamais à lui quand elles sont seules. C’est toujours avec une bande copines, aux yeux desquelles elles veulent se rendre intéressantes, qu’elle interpellent les hommes. Gilles a parfois essayé de marmonner une réponse, mais il a toujours eu peur qu’elles se rapprochent et lui cassent la gueule. Il ne saurait pas bien comment se défendre, seul face à un groupe. Quand il ne répond pas, c’est presque pire : « Eh tu pourrais dire merci, p’tite bite ! Bande mou ! » Il a vite compris que changer de vêtements n’était pas la solution non plus, parce que ses vêtements n’avaient pas grand chose à voir avec leur attitude. Pantalon serré : on voit son « beau cul », chemise ajustée : il a des « bras faits pour la baise », vêtements amples : il « cache un paquet là-dessous »… Il s’est donc résigné à faire quelques minutes de marche supplémentaire, mais au moins il a la paix.

 

Dans le bus bondé, Gilles ne trouve aucune place assise, ce qui est normal. Il y a à peine assez d’espace pour se tenir debout : des hommes avec leurs poussettes prennent toute la place. Gilles essaye de deviner quels sont les hommes qui sont pères, quels sont ceux qui sont de simples nounous, engagés pour s’occuper des enfants pendant que le père essaye de poursuivre une carrière décente. Il est un peu tôt, mais certains hommes sont déjà chargés de paquets de courses. Leur femme est sans doute au travail. Gilles, lui, n’a pas d’enfant. Cela lui vaut d’ailleurs régulièrement des remarques de ses amis hommes : « Oh mais tu sais, la paternité, ça te change complètement », « Tu changeras sûrement d’avis », « C’est un peu égoïste, comme attitude « , « L’instinct paternel ne te travaille pas ? ». Il ne sait pas s’il changera d’avis, ou non. Pour l’instant, sa vie lui convient.

 

Alors que la chauffeuse de bus freine brusquement, Gilles est tiré de sa contemplation des pères et de leurs poussettes par une sensation désagréable au niveau de ses fesses. Le rouge lui monte aux joues : il a rêvé ou la femme qui est derrière lui vient de lui mettre une main aux fesses ? On dirait qu’elle se frotte, mais il y a tellement de monde… Gilles hésite. S’il ne dit rien, il devra subir ce contact intime pendant encore cinq arrêts. Mais s’il dit quelque chose et qu’elle n’y est pour rien, il aura l’air bête… Finalement, Gilles ravale sa salive. Ce n’est pas la peine de risquer un esclandre. Au fond de lui, Gilles a quand même l’impression qu’elle n’était pas obligée de se coller comme ça, mais comme il subsiste 10% de chances pour qu’elle ne l’ait pas fait exprès, il ne veut pas prendre le risque.

 

Il finit par descendre du bus et pénètre dans le bâtiment où il travaille. L’assistant de direction le harponne à peine les portes de

l’ascenseur ouvertes : la directrice veut le voir dans son bureau. Un collègue vient d’avoir un troisième enfant et de démissionner. Gilles se souvient d’en avoir un peu discuté avec lui : Patrick aurait bien aimé continué à travailler, mais entre les frais de nounous, de cantine et le reste, son salaire aurait été entièrement englouti. Comme sa femme gagne relativement bien sa vie, bien mieux que lui en tout cas, il était plus avantageux pour eux qu’il arrête de travailler pour s’occuper de ses enfants.

 

« Gilles, lui annonce la directrice, je vais avoir besoin de vous pour les entretiens d’embauche. Bon, dans l’idéal, nous recherchons plutôt une collaboratrice qu’un collaborateur. Les hommes doivent toujours aller chercher les enfants à l’école à « l’heure des papas », ce sont eux qui prennent les « jours enfants malades »… Si vraiment un candidat vous paraît bien, essayez de savoir discrètement s’il a ou veut des enfants, OK ? »

 

A suivre…

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Je [coeur] Jessica Chastain (l’actrice aux cheveux blond vénitien, qui jouait dans Zero Dark Thirty). Elle est l’une des seules à donner de la voix au sujet de la représentation des femmes dans la surpuissante industrie du film hollywoodienne. Soyons clair(e)s : je ne blâme pas ses camarades acteurs et actrices. Vraisemblablement, ils et elles acceptent passivement le statu quo de peur que leurs prises de position ne les fassent inscrire sur une sorte de « liste noire » des comédien(ne)s à ne pas embaucher. Il faut bien travailler, et je ne suis pas la dernière à fermer ma gueule quand un(e) supérieur(e) hiérarchique fait une remarque sexiste. En fait, ma virulence est inversement proportionnelle à la capacité de me nuire la personne en face de moi.

Mais Jessica Chastain, elle, dit clairement ce qu’elle pense :

Il est où, le film de super-héros avec Scarlett Johansson ? Je ne comprends pas, pourquoi cela

prend-il tant de temps ? Cette femme montre clairement que les gens veulent la voir à l’écran. Le film Lucy n’a-t-il pas battu Hercule au box office, et de loin, lors du premier week-end après sa sortie, alors qu’il avait coûté moins cher ? Elle montre qu’elle est top, c’est une actrice géniale.  Under the skin est un film incroyable, pourquoi attend-on encore le feu vert pour un film de super-héros avec Scarlett Johansson ? Pour moi, ça n’a aucun sens ! Tu veux gagner de l’argent, mets Scarlett Johansson dans un film de super-héros !

Une brève recherche confirme ces propos : lors du premier week-end après sa sortie (les films sortent le vendredi aux Etats-Unis), le film Lucy a rapporté $1,075 par dollar investi. Le film Hercule, dans le même temps, rapportait $0,3 pour chaque dollar investi. En d’autres termes, Hercule était 3,6 fois moins rentable que Lucy.

Dans la suite de l’interview, Jessica Chastain évoque le problème de façon plus globale :

C’est un fait, la majorité des films à Hollywood adoptent un point de vue masculin. Et les personnages féminins ont très rarement l’occasion de parler à un autre personnage féminin dans un film, et quand c’est effectivement le cas, la conversation tourne autour d’un mec, rien d’autre. Donc ils sont très mâle-centrique, les films à Hollywood, d’une façon générale.

Consciemment ou non, Jessica Chastain applique ici l’un des critères du test Bechdel. Alison Bechdel, dessinatrice américaine, a parlé pour la première fois de ce test dans sa BD « Dykes to Watch Out For » (en français : Lesbiennes à suivre, 1985). A travers la vie de personnage féminins aux caractères, aux origines et aux parcours de vie différents, Bechdel aborde des sujets importants pour les lesbiennes, rarement (jamais ?) abordés dans des BD ordinaires : amour, homoparentalité, coming-out, droits et discriminations… L’une des pages de cette bande dessiné propose donc un test, destiné à vérifier le degré de focalisation d’un film (ou de toute production de fiction) aux personnages masculins. Ce test comporte trois questions :

– Y a-t-il au moins deux personnages féminins ayant un nom ?

– Les personnages féminins se parlent-ils ?

– Leur discussion porte-t-elle sur autre chose qu’un homme ?

Malgré leur simplicité, la très grande majorité des œuvres de fiction grand public ne réussit pas à répondre « oui » à ces trois questions. Le mouvement féministe a popularisé ce test, à tel point que certaines salles de cinéma suédoises l’utilisent à présent pour attribuer une note aux films qu’elles projettent. L’industrie cinématographique hollywoodienne est visiblement très loin d’une telle prise de conscience.

Espérons que la voix de Jessica Chastain se joigne à celle de Michelle Rodriguez, et que les chiffres finissent par convaincre les responsables de produire les films que les spectateurs et spectatrices attendent.


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