A quelques pas de là…

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J’ai lu cette semaine le texte dans Vogue d’Emily Ratajkowski, une top-modèle plus connue (de moi, au moins) pour ses photos dénudées sur Instagram que pour ses prises de position politiques. Eh bien je dois dire que j’en ai été pour mes frais et mes stéréotypes : ce doit être le texte qui parle le mieux de mon rapport à la maternité.

La tribune (en anglais) s’intitule : « Emily Ratajkowski parle de sa grossesse et de la raison pour laquelle elle ne veut pas connaître le sexe de son bébé ».

« Quand mon mari et moi disons à nos ami.es que je suis enceinte, leur première question après « Félicitations ! » est presque toujours « Vous savez si vous voulez une fille ou un garçon ? ». […] La vérité, c’est que nous n’avons aucune idée de qui (plutôt que ce qui) grandit à l’intérieur de mon ventre. Qui cette personne va-t-elle être ? De quelle type de personne va-t-on devenir les parents ? Comment est-ce que cela va changer nos vies et qui nous sommes ? »

Longtemps, je n’ai pas eu envie d’enfants. Je n’aimais pas les enfants, ni mes proches, ni les autres. Qu’on s’entende : je ne leur voulais pas de mal pour autant ! Mais, pour ma part, je les considérais comme des contraintes et/ou des nuisances. Maintenant que j’ai trente ans, j’envisage que la maternité pourrait être une aventure que j’aurais envie de vivre. (Cela fait beaucoup de conditionnel : c’est à dessein.) Je me retrouve à me dire : « Je réfléchis bien à la question, car le corps vieillit et la possibilité d’avoir une grossesse n’est pas éternelle. Si je n’ai pas d’enfants, je veux avoir donné de l’espace à cette réflexion et être en paix avec ce choix. »

En tant que militante féministe, la question de la maternité se pose en des termes bien différents de la plupart des gens, je crois. Mettre au monde un enfant, ça veut dire créer une vie qui sera sans doute celle d’une fille ou d’un garçon (jusqu’à 2 % des enfants naissent intersexes).

Si mon enfant est une fille, elle aura 80 % de chances d’être victime de harcèlement de rue. Une chance sur dix d’être victime de violences conjugales. Une chance sur six d’être victime de viol ou de tentative de viol. Une chance sur cinq de vivre du sexisme sur son lieu de travail. Si j’ai une fille, j’extirperai du néant et projetterai dans ce monde un être qui sera victime de sexisme, dans ses formes les plus banales comme les plus graves. Et ce ne sont même pas tant les inégalités salariales et le plafond de verre qui m’inquiètent. Ce sont les troubles du comportement alimentaire, les violences, l’estime de soi, le harcèlement scolaire. Ma fille sera une victime du monde sexiste, il n’y a absolument aucune chance pour qu’elle y échappe, les chiffres sont trop massifs. Et moi, en tant que mère, mon travail sera d’être là, de la relever doucement quand elle se sera fait heurter par le système, lui dire qu’elle n’y est pour rien, lui expliquer le principe d’un « système » et lui donner des outils pour comprendre et résister. Est-ce une perspective enviable et une bonne raison de mettre au monde ?

Et, à ce stade de la réflexion, je n’ai même pas encore commencé à me demander quelle était la meilleure manière de ne pas vouloir « rejouer » ma propre enfance, de ne pas projeter sur cette fille quelque chose qui ait rapport avec moi.

Si mon enfant est un garçon, alors là, je mettrai au monde un dominant dans le système patriarcal. Et là, comme se le demande Emily Ratajkowki : « Comment puis-je élever un enfant qui apprenne à s’aimer tout en lui parlant aussi de la position de pouvoir qu’il occupe dans le monde ? »

Comment je lui parle de sexe, pour qu’il apprenne à s’intéresser au désir de son ou sa partenaire, à demander le consentement, quand tout (tout !) dans la société lui inculque qu’un homme viril prend, exige, insiste, plaque contre le mur, qu’un peu de brutalité en contexte sexuel est sexy et désirable ? Je connais tant d’hommes qui s’arrogent le droit de « faire la gueule » quand leur compagne n’a pas envie de sexe, et tant de femmes qui acceptent des rapports sexuels sans désir pour faire plaisir ou s’éviter « la gueule » de leur partenaire. Je connais tant de femmes que leur partenaire a pénétré dans leur sommeil, pendant qu’elles étaient ivres, ou a pénétré analement pendant un rapport sans leur avoir demander leur avis avant. (Moment juridique : cela s’appelle des viols.)

Si j’ai un fils, comment je lui apprend à avoir confiance en lui, en ses idées, en sa voix unique et singulière, tout en évitant qu’il ne vienne grossir les chiffres des hommes qui coupent la parole aux femmes et reprennent leurs idées à leur compte sans même, le plus souvent, s’en rendre compte ? Comment lui permettre de créer des amitiés durables et belles avec d’autres hommes tout en lui expliquant que, si deux millions de Français et de Françaises ont été victime d’inceste, que 90 000 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol en France chaque année, et que 98 % des agresseurs sont des hommes, cela veut dire qu’il y a dans son entourage des violeurs, des agresseurs, des incesteurs, que c’est une réalité et que si on le lui révèle il faut qu’il croie la victime et se désolidarise de l’agresseur ?

« J’ai connu bien trop d’hommes blancs qui vivent leur vie sans être conscient de leur privilège, et j’ai été traumatisée par nombreuses de mes expériences avec eux. Et c’est valable aussi pour les garçons ; c’est choquant de réaliser à quel point les garçons acquièrent très jeunes le sentiment que les choses leur sont dues : du corps des filles, au monde en général. Je n’ai pas peur d’élever « un monstre », car nombreux sont les hommes que je connais qui abusent de leur position de pouvoir sans le faire intentionnellement. Mais je suis terrifiée à l’idée de cultiver, par inadvertance, la négligence et l’absence de conscience qui sont si pratiques pour les hommes. C’est une tâche bien plus impressionnante que de susciter une compréhension de la notion de privilège chez un enfant, plutôt que de lui enseigner une morale simple, en noir et blanc. » (Emily Ratajkowksi, Vogue)

Et comment fait-on avec la notion d’échec ? Quand on est une militante féministe et qu’on élève un garçon, comment fait-on quand on se rend compte que, malgré tous nos efforts, le reste de la société forme une pente si raide que notre fils s’est laissé glisser comme les autres ? Que, s’il est hétérosexuel, il effectue bien sa part de tâches ménagères, mais laisse sa copine prendre en charge toute la planification, l’anticipation, l’organisation, que l’on appelle la « charge mentale » ? Que c’est elle qui lui rappelle les anniversaires, donne des coups de fils aux ami.es et à la famille pour maintenir le lien, lui demande comment s’est passée sa journée, et prend en charge tout ce qu’on appelle la « charge émotionnelle » ?

Comment fait-on quand on se rend compte que, malgré tous nos efforts, le reste de la société forme une pente si raide que notre fille s’est laissé glisser comme les autres ? Qu’elle minaude, se maquille, commente l’apparence physique des autres femmes, dit d’unetelle qu’elle s’habille comme une salope, qu’unetelle a sûrement couché pour avoir le poste ?

Et ça, c’est en imaginant que tout le reste se serait passé comme prévu.

En tant que militante féministe lesbienne, la question de la maternité féministe se double de questions liées à la maternité lesbienne.

Il y a, bien sûr, toute la question des origines : quel choix opérer, avant la naissance de l’enfant et donc sans lui demander son avis, en matière de connaissances liées au donneur ? Je serais assez d’avis de connaître, de manière anonyme, le dossier et les antécédents médicaux du donneur. Cette manière de procéder permet à l’enfant de connaître « ses origines » sans donner au donneur autre chose que cette place-là : celui du don de matériel génétique. Chaque donneur de sperme a sans doute ses raisons pour effectuer ce don, mais il n’y figure jamais un projet de paternité (et heureusement!). Pour autant, si mon enfant veut un jour rencontrer l’être humain avec qui il partage une moitié de patrimoine génétique, voir son visage, entendre sa voix, je crois que je comprendrais. Mais je serais terrifiée à l’idée que cet homme vienne, des années après, sans être personne pour cet enfant, sans avoir jamais désiré la venue au monde de cet être, sans avoir rien à voir avec notre projet de famille, mettre en péril l’équilibre familial que nous aurons formé avec ma compagne, sa mère. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? Surtout dans une société hétéronormée et patriarcale, qui est si prompte à donner une place de choix à l’homme, qu’il soit donneur de sperme ou père social.

Et qu’est-ce qu’on fait en matière de normes de genre ? En tant que militante féministe, si j’ai une fille un jour, j’aurais à cœur qu’elle puisse s’habiller avec des grands T-shirts sombres si ça lui plaît, couper ses cheveux si elle veut, faire du lancer de poids si ça la tape. Si j’ai un fils, j’aurais à cœur qu’il puisse porte des jupes si ça lui plaît, mettre du vernis à ongles s’il en a envie, faire de la danse classique si ça le fait rêver. Mais mon enfant sera déjà celui ou celle qui, à l’école, « aura deux mamans » ou « sera le gosse des deux gouines », en fonction du degré d’amabilité des autres parents. Et le risque n’est pas négligeable de vouloir permettre l’épanouissement de l’enfant, mais de finir par renforcer sa stigmatisation. (Un petit garçon qui porte du rose, chez un couple hétéro, c’est une marque de progressisme, chez un couple homo, c’est une marque d’endoctrinement.)

Et avec tout ça, je n’ai même pas encore parlé de l’homophobie que mon fils ou ma fille risque de se prendre dans la poire sans avoir personnellement jamais rien demandé, juste parce que ce serait moi qui l’aurait mis au monde.

Et je n’ai pas non plus parlé du système capitaliste qui nous opprime collectivement et nous envoie dans le mur, de l’écosystème qui s’effondre, des animaux qui meurent, des températures qui augmentent et de tout ce qu’on sait du présent et du futur.

Qui a peur de la maternité ? Moi.

Tout de suite les grands mots : « le désir hétérosexuel est une construction sociale »

Le privé est politique.

Ce slogan féministe résume l’idée suivante : de la garde des enfants aux tâches domestiques en passant par l’orientation scolaire et les salaires touchés par chacune, tous les éléments de notre vie « privée », tous les « choix » que nous supposons individuels sont en réalité façonnés par la société (patriarcale) dans laquelle nous évoluons.

Les militantes du « lesbianisme politique », appliquant ce pan de la pensée féministe à l’hétérosexualité, considèrent que toute la société nous conditionne à nous penser hétérosexuel.le.s, à nous imaginer en couple avec une personne de sexe opposé, et du même coup à ne jamais envisager les sentiments envers une personne de même sexe comme autre chose que de l’amitié (au mieux).

L’homophobie fait bonne mesure là-dessus, inculquant très tôt aux petites filles et surtout aux petits garçons à quel point il est repoussant d’être lesbienne (camionneuse, garçon manqué, ni désirable, ni attirante…) ou gay (efféminé, maniéré, faible : « c’est pas un truc de tapette »…). Dans ce contexte, qui aurait le moindre espace mental pour envisager de construire sa vie avec une personne du même sexe ?

Je parle ici de construire sa vie parce que, du côté des femmes au moins, quantité d’hétéros rêvent d’ « expérience sexuelle lesbienne ». Elles s’imaginent cela plus doux, plus attentif à leurs propres désirs, plus respectueux de leurs envies, plus à même de leur procurer du plaisir… (A mon sens, cela en dit moins sur leurs fantasmes que sur leur vie sexuelle actuelle, qui doit être bien insatisfaisante). S’imaginer avec une femme ponctuellement, sexuellement, ne leur pose pas de problème. C’est imaginer construire une vie ensemble, et l’assumer aux yeux de tou.te.s, dont elles sont incapables.

 

Le choix de l’homosexualité

Lorsque j’ai rencontré l’une des proches de mon amie, lesbienne elle aussi, l’une des choses qu’elle m’a dites était : « J’admire ta façon d’assumer le fait d’aimer une femme. Beaucoup, à ta place, n’auraient pas eu cette réaction. » Je ne voyais pas bien, alors, ce qui pouvait être admirable dans ce que je faisais, ni qui pouvait être ces « beaucoup » qui auraient choisi de se refuser à elles-mêmes quelque chose qui les rendait heureuses. Et puis, j’ai écouté, entendu…

Deux histoires, entre plein, de ces « hétéros qui finissent toujours par y retourner », de ces histoires de crush qui se « terminent souvent par un cœur brisé côté lesbienne ».

La première, c’est l’histoire d’une femme, mère de deux enfants, séparée du père. Elle tombe amoureuse d’une autre femme. C’est cette dernière, lesbienne, qui raconte : le fait de rester cachée, de n’exister aux yeux de personne, d’être celle dont on a honte. En face, cette mère a peur. Peur du regard qu’on pourrait porter sur elle à l’école de ses enfants. Peur des remarques des autres enfants aux siens. Peur de la réaction de sa famille. Peur de l’homophobie. Eh oui. Surprise. Les remarques homophobes/lesbophobes, elles font du mal immédiatement aux lesbiennes et à leurs proches, et puis à plus long terme à toutes les femmes qui se prendraient à aimer d’autres femmes.

La deuxième histoire, c’est aussi l’histoire d’une femme, mariée à un homme dont le salaire est plutôt élevé. (Pour un peu, on pourrait dire : « un homme qui gagne bien sa vie », mais je n’aime pas cette expression. Passons.) Elle tombe amoureuse d’une autre femme. C’est aussi cette dernière, lesbienne, qui raconte : les rendez-vous clandestins, l’espoir, la déception immense de n’être pas assez bien, de ne pas valoir le déclassement social que le divorce impliquerait pour celle qu’elle aime. Mais qui peut blâmer celle qui ne veut pas divorcer ? Elle vit dans une grande et belle maison, mange des produits frais de bonne qualité, peut se faire plaisir normalement sans avoir à consulter l’état de son compte en banque, achète les vêtements qui lui plaisent et part en vacances à la mer une fois par an. Et on voudrait qu’elle décide de vivre à deux dans un appartement avec une seule chambre, qu’elle achète des produits premier prix, s’inquiète de savoir si le prélèvement de la taxe d’habitation va passer, et ne parte plus en vacances qu’un été sur deux, après avoir patiemment mis de l’argent de côté pendant deux ans ? Mais qui le ferait ? Spontanément, de bon cœur, sans se poser de question ?

Vivre avec une femme, dans une société qui privilégie la nomination d’hommes pour les postes de pouvoir et rémunérateurs, c’est vivre le déclassement social, financier.

On ne choisit pas de qui on tombe amoureuse. Mais on peut choisir, si l’inquiétude et la peur envahissent déjà tout l’espace, de confiner, tapir, violenter ces sentiments pour les rabougrir dans un coin en attendant qu’ils fanent et disparaissent.

Dans ce sens-là, oui, l’homosexualité est un choix. C’est un choix politique, au sens de « la société », par opposition à ce que serait un « choix privé » : c’est un choix qui découle du contexte social et politique.

Plus joyeusement, choisir le lesbianisme, choisir de dire oui à ses désirs, c’est pouvoir se passer du regard des hommes, ne plus attendre de leur plaire. Physiquement, déjà, c’est pouvoir choisir des vêtements confortables plutôt que des vêtements « séduisants » ou « féminins » si on le souhaite. Et au-delà du physique, c’est ne plus rechercher l’approbation des hommes même quand ils sont en position de pouvoir et de responsabilité, puisque le regard qui compte, il est féminin.

C’est s’émanciper de l’oppression sociale qui découle du couple hétérosexuel dans un modèle patriarcal : c’est vivre avec quelqu’un avec qui il ne faut pas se battre sur les tâches ménagères, et qui prend sa part de la charge mentale (qui planifie les rendez-vous, organise les vacances, prend rendez-vous chez le médecin pour autrui, anticipe la fin du stock de pâtes et en rachète…), et qui porte spontanément sa part de la charge émotionnelle (qui prend soin d’épargner l’humeur d’autrui aux dépens de la sienne, pense à mille et uns détails de décoration ou autres qui permettent de se sentir bien chez soi, gère les liens familiaux et pense à rappeler les anniversaires…).

C’est ne plus devoir choisir, quand on est féministe, entre d’une part se taper la pédagogie pour éduquer constamment son conjoint et le rappeler à l’ordre, et d’autre part se taper le patriarcat quand le dit conjoint n’a pas conscience de ce qu’il ne fait pas (tâches ménagères, compliments and co., cf. ci-dessus).

« Soyez exigeantes, devenez lesbiennes ! »

Certaines militantes (Despentes, Coffin) appellent à « devenir lesbienne« . Parce que ce n’est pas comme ça que les choses se sont passées pour moi, je ne sais pas s’il est possible de choisir consciemment de n’avoir des relations qu’avec des femmes, et de s’y épanouir. Mais je voudrais profiter de cet espace pour répondre à la critique habituelle du lesbianisme politique : « Comment peut-on appeler à choisir le lesbianisme sans faire le jeu des homophobes ? On martèle que l’orientation sexuelle n’est pas un choix… Si c’est un choix, les homos peuvent choisir de retourner à l’hétérosexualité et les homophobes ont raison de leur imposer des thérapies de conversion, de leur refuser le mariage, l’adoption, la PMA… Les lesbiennes et les gays n’ont qu’à (re)devenir hétéros pour y avoir accès ! »

D’abord, il faut rappeler qu’il n’y a pas de symétrie entre « choisir l’homosexualité » et « choisir l’hétérosexualité » (ou, le cas échéant, « (re)devenir hétérosexuel.le grâce à une thérapie de conversion »). Choisir de se conformer à la norme, ce n’est souvent pas un vrai choix ; c’est céder à la pression, c’est sauver sa peau.

Ensuite, cette histoire d’homosexualité qui n’est pas un choix, c’est en fait le signe que les homophobes ont gagné la bataille des idées, des mots, des esprits, de la pensée. Formuler l’orientation sexuelle en termes de choix et de non-choix (et refuser aux homos certains droits, au motif « qu’ils/elles pourraient faire autrement »), c’est une rhétorique homophobe. Depuis quand faut-il qu’une personne n’ait pas le choix pour avoir les mêmes droits que les autres ? Cette histoire de choix, c’est un piège dans lequel beaucoup de militant.e.s se sont engouffré.e.s parce que c’était plus simple : « ce n’est pas un choix, alors faites avec ». Mais qui se rend compte à quel point la frontière est ténue entre « ce n’est pas un choix » et « ce n’est pas de leur faute » ? Et pourquoi parler de faute si ce n’est pour des choses honteuses, tristes ou anormales ? Les thérapies de conversion doivent cesser parce qu’elles sont monstrueuses. Les gays et les lesbiennes doivent avoir les mêmes droits que les autres parce que « les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en droits ». C’est tout.

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« A 35 ans, je suis devenue lesbienne. […] L’impression de changer de planète a été fulgurante. […] Et c’est une sensation géniale. »

Virginie Despentes, Le Monde, 9 juillet 2017.

 

C’est ainsi que Virginie Despentes, écrivaine, féministe, géniale, met en mots le moment où elle est tombée amoureuse de Paul B. Preciado (homme trans que Despentes a connu sous le nom de Beatriz).

Moi aussi, à 29 ans, je suis devenue lesbienne. 29 ans et quelques mois à peine, en pleine séparation amoureuse, je m’inscris au permis moto. Je sais que le moniteur est une monitrice, ça me plaît, je me dis que j’éviterai à la fois la potentielle lourdeur d’un moniteur sexiste et un rapport de « séduction » par lequel la bonne élève que je suis essaiera de faire plaisir au professeur. Eh.

Au bout de quatre heures de leçons, j’envoie des messages endorphinés à mes amies en leur disant que j’adore la moto. Au bout de huit heures de leçons, je suis sur le parking d’une boulangerie, un grand soleil bleu pleut sur mon visage et j’envoie un message à une amie dans lequel j’articule enfin ce qui m’arrive : « J’ai un maxi-crush sur ma monitrice de moto dont je ne sais presque rien. Je pense à elle souvent, j’ai plaisir à la voir, et c’est la première fois que j’ai envie de séduire une femme. »

Il me faut encore cinq mois pour passer de « cette femme me plaît » à « j’ai fait un cent quatre-vingts sur mon orientation sexuelle ». Nous sommes en août, la psychologue que je vois à l’époque me demande : « Et si c’était un homme, vous feriez xxx ? » Je réponds : « Non. Enfin, je ne sais pas… » Elle insiste : « Mais vous vous imaginez en couple avec un homme dans le futur ? » Et moi : « Euh… Je ne sais pas si j’imagine ressentir un truc pareil pour un homme. »

Et à l’instant où je dis ça, ça explose dans ma tête. La réalité force les portes de mon cerveau comme une lumière allumée trop tôt le matin. Je suis paniquée. A cause de tout ce que ça veut dire. Je n’ai pas envie d’être le L de « LGBT-phobie », moi.

L’hétérosexualité comme système politique

Se dévoile progressivement à mes yeux ce que j’avais entendu les militantes appeler « l’hétérosexualité comme système politique », sans bien le comprendre ni l’appréhender ni, à vrai dire, m’y intéresser franchement.

La prise de conscience démarre à la médiathèque. Il n’y a que des histoires d’hétéros et je ne suis nulle part. Les films. Les séries. Je recherche et fais miennes toutes les fictions qui me ressemblent un peu et me parlent. C’est vite vu. Les affiches dans la rue. La moindre silhouette figure un homme et une femme et je n’existe pas. On ne cherche jamais à me vendre les châteaux de la Loire et les cuisines aménagées. Je n’existe pas.

Je lève les yeux au ciel.

Les femmes sur les affiches. Toutes mettent en scène la même féminité putassière et inoffensive, celle dont le seul but est de plaire à l’Homme (hétéro). Parce que les femmes qui attirent mon regard, à moi, sont précisément celles qui se démarquent de cette féminité hétéro, celles qui semblent signaler qu’elles sont lesbiennes, potentiellement accessibles. Progressivement, je change de style vestimentaire et capillaire. Féministe, j’avais déjà largement laissé tomber les codes de l’Eternel Féminin, mais je passe la troisième. Je veux que ça se voie pour qui veut bien regarder.

L’hétérosexualité comme système politique, c’est aussi le fait que personne, jamais, n’envisage l’homosexualité comme une option. C’est cette femme qui demande : « Oh, tu as passé ton permis moto ? Tu t’es entichée d’un beau motard ? » C’est cet homme qui plaisante : « Tu verras, quand tu auras un compagnon à qui ça arrivera ! » C’est cette mère de trois jeunes garçons qui, découvrant que sa collègue a trois filles du même âge, s’écrit en souriant : « On devrait les présenter ! ». Comme si aucun.e de ces six-là ne pourrait être attiré.e par une personne de son sexe. L’hétérosexualité comme système politique, c’est aussi le regard un peu horrifié de cette même mère lorsque je rigole : « On ne sait pas, attendez, peut-être que vos garçons seront gays et ses filles lesbiennes ! » comme si j’avais dit quelque chose de sale. Comme si, par moi, la sexualité venait de faire irruption dans la vie de ces enfants de 3 à 7 ans, comme si l’attirance hétérosexuelle qu’elle mentionnait elle n’était pas sexuelle.

L’hétérosexualité comme système politique, c’est aussi cet animateur de radio qui s’exclame d’un ton mi-plaisantin, mi-lubrique : « Ah mais tu aimes les filles ? Oh lala…! » C’est cette sur-sexualisation et cette fétichisation des lesbiennes, qui sont une catégorie pornographique à part entière, quand 99% des personnes qui consomment de la pornographie ne sont pas des lesbiennes.(1) C’est le fait qu’il a fallu attendre 2019 pour que, sous la pression de collectifs de militantes lesbiennes, Google modifie son algorithme pour qu’une recherche avec le mot-clé « lesbienne » cesse de renvoyer uniquement vers des contenus pornographiques. C’est le fait qu’aujourd’hui, le premier lien renvoie à la définition wikipédia… et tous les autres à des contenus relatifs à la sexualité (Au féminin, Doctissimo, etc.). Comme si les associations militantes, les écrivaines, cinéastes, artistes, femmes politiques, et toutes les autres qui ont vécu en étant ouvertement lesbiennes étaient écrasées face au rouleau compresseur de cette identité imposée : la sexualité.

Invisibilisation, sur-sexualisation.

Premières victimes du patriarcat (un couple de femmes, c’est deux fois les inégalités de salaires, deux fois les violences physiques et sexuelles, deux fois toutes les inégalités et les violences structurelles en fait), les lesbiennes sont également la preuve qu’une femme n’a pas besoin d’un homme pour survivre. Par nécessité, les lesbiennes bricolent, soulèvent des trucs lourds, apprennent à se démerder là où les femmes hétéros (je le sais, je l’ai fait) auraient beau jeu de se glisser dans le rôle, confortable mais piégeux, de Celle Qui Ne Sait Pas (et laisse la responsabilité à l’autre de savoir ou d’apprendre).

Alors il faut voir ce qu’elles se prennent dans la tronche, les rares femmes médiatiques à avoir fait leur coming-out. (Qu’on pense aux « blagues » sur Amélie Mauresmo…)

Je suis le L de LGBT-phobie

Lorsque j’ai pris la main de la femme que j’aimais dans la rue, j’ai ressenti à la fois un immense bonheur et une pointe d’appréhension. Qu’allait-il se passer ? Cela fait partie des craintes que les hétéros autour de moi ont eu le plus de mal à comprendre : « Tu t’en fous du regard des autres, tu vis pour toi, pas pour eux. » Certes. Mais ayant milité dans une asso féministe aux côtés de lesbiennes, j’ai entendu les témoignages des couples de femmes : de la montagne de mecs lourds (« Eh les filles, je peux participer ? ») aux regards dégoûtés des gens qui font semblant de vomir, jusqu’aux agressions physiques et sexuelles. Etre une femme dans la rue, c’est déjà risquer (le harcèlement, les agressions…). Etre une femme lesbienne dans la rue, c’est multiplier. Quand environ une lesbienne sur deux a été victime de lesbophobie dans l’espace public, on ne peut pas s’empêcher d’avoir une pointe d’appréhension quand même.(2)

Le privilège hétéro, c’est donc de ne pas avoir à se poser de question avant de prendre la main de la personne qu’on aime dans la rue.

C’est aussi pouvoir dire « mon copain » ou « ma copine » sans appréhender la réaction de la personne en face. J’ai récemment cherché (et trouvé !) un garage à louer à un monsieur âgé. Je lui ai parlé, à l’oral, de « mon ami(e) » (le féminin ne s’entend pas), craignant qu’il ne change d’avis et décide de ne plus me louer son garage en apprenant ma sexualité. Moi, parano ? Peut-être, mais des centaines de milliers de personnes de La Manif Pour Tous ont battu le pavé pendant des mois pour expliquer que ma copine et moi ne devrions pas avoir les mêmes droits que tous les autres. Et, à l’automne, des torrents médiatiques se sont à nouveau déversés sur nous, bramant que nous étions congénitalement incapables d’élever un.e enfant. Marrant, dans mon cas, d’ailleurs : l’année dernière, je pouvais ; cette année, je ne peux plus ?

Je suis donc le L de LGBT-phobie.

J’ai donc dû réfléchir à la manière de dire à mes frères que j’étais tombée amoureuse ! Ça ne s’est pas bien passé, surtout avec l’un, qui m’a dit qu’il lui faudrait du temps pour l’accepter et, de surcroît, m’a trouvée « dure » lorsque je lui ai fait remarquer à quel point c’était blessant. Parce qu’on me marche sur le pied et qu’il faudrait que je dise « Aie ! » plus doucement.

Même les personnes qui n’ont eu absolument aucun problème ni aucune réticence lorsque je leur ai parlé de notre histoire n’ont pas toutes compris ma déception et ma douleur. « Vue leur homophobie, ça s’est plutôt bien passé ! Franchement, tu t’attendais à quoi ? » Bah, je ne sais pas… A ce que l’annonce soit un non-événement ? A être traitée normalement ? A être traitée très exactement comme je l’étais une minute avant de parler de la femme que j’aime ?

Et maintenant ?

On ne peut pas décider de devenir lesbienne, mais on peut accueillir la possibilité avec enthousiasme. Quand ça m’arrive, de tomber amoureuse d’une fille, je comprends immédiatement que c’est une super chance. Que c’est la chance de ma vie, presque, et que je ne vais pas la laisser passer. Et après, la question que je me pose, c’est : « pourquoi pas avant ? ».

Virginie Despentes, Podcast « Les couilles sur la table », 03 octobre 2019.

J’éprouve tellement de reconnaissance pour Virginie Despentes. Pour son existence, publique, et pour ces mots qu’elle me donne pour penser ce qui m’arrive.

« Pourquoi pas avant ? » Je me demande. Je ne sais pas. Certaines militantes du lesbianisme politique expliquent que le désir hétérosexuel est une construction sociale, comme par exemple le désir d’enfants ou le goût pour le rose chez les femmes. Ça ne veut pas dire que certaines femmes ne peuvent pas avoir profondément envie d’enfants ou aimer réellement le rose. Mais ça veut dire que ça vaut le coup de se poser deux minutes pour examiner la chose (« déconstruire », disent les militantes). Est-ce que j’ai vraiment envie d’enfant ou est-ce que ça semble juste « la suite logique » pour mon couple ? Est-ce que j’aime le rose ou est-ce qu’il y en a juste partout ?

Qu’est-ce que je ressens pour les femmes que je croise ou qui m’entourent ? Le fait de trouver telle femme belle, magnétique, est-ce juste de la sensibilité à ce qu’elle dégage elle, ou est-ce une attirance pour les femmes en général ? Cette amitié si forte avec Unetelle, cette impression de se comprendre sans se parler, cette envie de passer beaucoup de temps avec elle, est-ce réellement de l’amitié ou une attraction amoureuse ? Si j’ai du mal à dire « je t’aime » à un homme, si je me demande si je suis vraiment amoureuse, si je ne me projette pas à long terme avec mon conjoint, est-ce parce que je ne l’aime pas assez lui ou est-ce parce qu’il y a quelque chose en moi qui ne s’aligne pas ?

Mais c’est évident que c’est une super chance, et je n’envie pas les femmes hétéros féministes qui, en plus de devoir lutter contre le patriarcat à l’extérieur, le ramènent aussi dans leur vie intime.

« Et les hommes féministes alors, ça n’existe pas ? » Si, ça existe. Mais, sauf exception que je n’ai pas rencontrée, les hommes féministes ne vivent pas l’oppression, ils se la font expliquer… par des femmes… qui la vivent, puis la conscientisent, puis la théorisent comme phénomène social, qui ne les touche pas seulement elles, mais toutes celles de leur sexe. Etre lesbienne, c’est échapper pour toujours aux explications, à la pédagogie, au combat ordinaire contre la charge mentale, les stéréotypes et les pressions de l’extérieur.

Et maintenant ? Je vais me frayer un chemin dans l’univers hétéro-patriarcal (wesh), être « out », autant que faire se peut, parce que ce monde a besoin de visibilité lesbienne, lever le pied sur le militantisme public parce que mon quotidien est au croisement du sexisme et de l’homophobie et qu’il me faut des forces pour la vie de tous les jours, et aimer, aimer passionnément la femme qui donne des couleurs au soleil.

 

 

 

 

*** Sources : ***

(1) Smith C., Attawood F. et Barket M., « Les motifs de la consommation de pornographie », in Voros F. (dir), Cultures pornographiques, Anthologie des Porn studies, p. 256.

(2) Près d’une lesbienne sur deux a été confrontée à la lesbophobie dans l’espace public (45%). Arc S. et Vellozzo P., « Rendre visible la lesbophobie », Nouvelles questions féministes, 2012-1, vol. 31, pp. 12 à 26.

Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’oeil intelligent sur soi-même.

Marguerite Yourcenar, Les mémoires d’Hadrien.

Je suis née en patrie féministe il y a dix ans. Dix ans. Joyeux anniversaire.

Le féminisme est une fièvre ; grandissante, prosélyte et incurable. Hélas.

Je suis à cette étape de mon féminisme où, depuis de long mois, j’en interroge le sens. A quoi me « sert »-il ? Je suis dans un état de rage quasi-permanent face aux oppressions systémiques vécues par mon sexe. Où que je regarde, de quelque côté que je me tourne, m’explosent au visage des inégalités flagrantes et insupportables. Essayez !

Santé : Les femmes présentant tous les symptômes de l’AVC reçoivent moins souvent que les hommes (32% contre 41%) le bon diagnostic, les médecins attribuant souvent ces symptômes à de simples migraines ou vertiges. Elles sont plus nombreuses que les hommes à renoncer aux soins médicaux (+/- 6 points).

Sport : Les footballeuses professionnelles françaises touchent en moyenne 96% de moins que leurs homologues masculins. Celles qui évoluent dans les grands clubs français touchent en moyenne 4000€/mois contre 75 000€ mensuels en moyenne pour leurs homologues masculins.

Culture : Seules 22% des récipiendaires des grands prix littéraires français sont des femmes. Elles ne représentent que 33% de la programmation théâtrale française.

Sexualité : Les femmes sont 52% à déclarer avoir « souvent » ou « parfois » eu des rapports sexuels pour faire plaisir à leur partenaire sans en avoir eu vraiment envie elles-mêmes, contre 25% des hommes.

 

Ad libitum. Ad nauseam. Je repense à d’autres luttes majeures pour les droits des êtres humains et aux siècles d’oppression, et je me dis qu’il se pourrait bien que celle-ci durât encore longtemps.

Dans mes bons jours, je me laisse entraîner par l’idée que le féminisme a toujours été une bataille contre son temps. On n’est jamais féministe pour des droits acquis, même si on doit en permanence à la fois gratter le mur de tout un système avec ses ongles pour espérer l’éroder, et simultanément garder avec vigilance et férocité les fragments décrochés contre celles et ceux qui, vautours, rôdent avec l’espoir de les remettre.

Dans mes bons jours, je pense que c’est parce que des rangs entiers de féministes sont mortes en terre patriarcale que d’autres se lèvent et vivent avec des chaînes moins lourdes à porter. Et peut-être, rang après rang, toutes ces féministes dont j’aurai été auront construit une société plus libre pour les femmes.

Souvent, je me sens si fatiguée.

Ces belles idées brisent contre des centaines de petits épuisements quotidiens : expliquer (« ça, c’est sexiste »), dénoncer (« ça, c’est sexiste »), interrompre et corriger (« ça, c’est sexiste »)… Le mur est là. Toujours là. Solide. Mes ongles saignent, mes yeux pleurent, et nos conquêtes me semblent des poussières.

En dix ans de mon féminisme, qu’est-ce qui a changé ? Les chiffres ne vacillent même pas (1) et, à part quelques unes de magazines (2) qui me laissent à penser qu’on occupe peut-être une place, je peine à identifier ne fût-ce qu’un bouleversement social d’ampleur, dont nous pourrions nous enorgueillir et qui nous servirait de marchepied. (J’ouvre ici une parenthèse pour donner mon avis sur une modification majeure, récente et langagière : en parlant désormais de « violences sexistes et sexuelles » en lieu et place de « violences faites aux femmes », j’estime qu’on occulte mieux le rapport de domination qui touche un sexe et en favorise un autre.)

2009-2019. Dix ans après, qu’est-ce qui a changé ?

Moi. Le changement est en moi.

Commençons là : il est plus que temps de témoigner admiration et reconnaissance envers les féministes qui ont subi mes approximations, mes idées arrêtées et mes erreurs. Je dois à la patience de leur pédagogie le féminisme qui m’anime aujourd’hui, et que je m’efforce de maintenir inclusif en dépit de mon conditionnement social âgiste, classiste, grossophobe, homophobe, islamophobe, lesbophobe, raciste, transphobe, validiste… (3)

A 29 ans, mon féminisme me fournit la force jour après jour de devenir qui je veux être. Il est ce roc depuis lequel je refuse ce qui ne me convient pas et avance vers ce à quoi j’aspire.

Je porte moins de soutiens-gorges parce que ça n’a pas de sens et que je ne veux plus ; avec mon 90A, j’apprends doucement à embrasser cette nouvelle silhouette dans le miroir, à m’aimer, à être fière. J’ai fait des sports de combat « violents » (krav-maga et boxe thaïe) et je le proclame haut sans craindre d’effrayer. Je n’abdique pas ma liberté professionnelle. Je refuse les relations proches avec les personnes qui ne sont pas féministes, parce que c’est une base solide pour établir le respect de moi-même. Je ne perds pas de temps avec les personnes qui ne sont pas féministes ; « je séduis qui me séduit ». (4)

Mon féminisme me donne la force d’agir et d’aligner mes actes sur mes convictions. Mon féminisme, il défend toutes les femmes, mais il me défend d’abord moi. Moi, le respect auquel j’ai droit, toutes les choses auxquelles j’ai droit.

Mon féminisme, il défend toutes les femmes, mais même s’il ne « sert » qu’à moi, il en vaut la peine.

 

***

(1) https://www.ipsos.com/fr-fr/violences-sexuelles-pourquoi-les-stereotypes-persistent

(2) La nouvelle terreur féministe, Valeurs actuelles, mai 2019.

(3) Ordre alphabétique.

(4) Christiane Taubira : https://www.franceinter.fr/emissions/femmes-puissantes/femmes-puissantes-29-juin-2019

Trois fois par an environ, on me demande d’intervenir auprès de jeunes gens pour leur parler d’égalité filles/garçons. Ce n’est pas mon métier mais on considère que j’ai suffisamment d’expertise en la matière pour être capable de le faire. Pas sûr… 

 

Il y a presque deux ans, ma collègue est venue me trouver pour me parler de son projet avec les jeunes. Je souviens très bien du sentiment de panique intérieure qui m’a envahie lorsque j’ai compris quelle était sa commande : « Tu auras trois heures. Parle-leur d’égalité. C’est tellement important. Il y a tellement à faire. » Bien sûr, on aurait pu faire appel à des professionnel(le)s des interventions auprès des enfants et des adolescent(e)s. Mais ça coûtait moins cher si j’animais ces sessions moi-même. Soit.

 

J’ai pas mal tâtonné pour trouver le bon angle d’attaque. Comme le disait ma collègue : « Il y a tellement à faire » ! Comment les sensibiliser en trois heures à peine ? La première année, je leur ai parlé de médias : films, séries, chansons de rap. Je voulais parler de la représentation des femmes, de toutes les femmes : jeunes, âgées, blanches, arabes, noires, asiatiques, homosexuelles, valides, handicapées, pauvres, riches… Mais je me suis rendue compte que cette première mouture était à la fois trop ambitieuse et trop peu concrète. Elle était trop peu concrète car les jeunes ne voyaient pas l’importance des représentations. « Ouais ben les Disneys, c’est toujours comme ça. C’est pas pour ça que j’ai envie de m’enfermer dans ma maison en faisant pousser mes cheveux », s’exclama ainsi l’une d’entre elles, en référence au film Raiponce

 

« Après, ça change maintenant. On a des films avec des meufs et tout. » Chaque fois que je parlais de tendances sociologiques, de généralités sociales, l’un d’entre eux ou l’une d’entre elles me trouvaient un contre-exemple tout à fait valable. Je ne parvenais pas à leur faire comprendre la différence entre un fait isolée et un fait structurel. Même le test de Bechdel ne fonctionnait pas. Ainsi, à la question : « Dans ce film de Disney, y a-t-il deux personnages féminins ? », les jeunes répondaient systématiquement oui. Je me souviens de ma surprise :

« Dans Le roi lion, tu vois deux personnages féminins ?

– Bien sûr ! Nala et la mère du roi lion.

– Et quels sont les personnages féminins qui parlent entre eux ?

– Les deux hyènes « ! »

Effectivement, ces deux jeunes femmes avaient raison. Il y avait bien des personnages féminins, mais ils étaient tellement relégués à l’arrière-plan que je les avais oubliés. Du coup, ma démonstration sur l’absence de personnages féminins en dehors des rôles de princesses ne les avait pas convaincues. Forcément.

 

Cette première version était aussi trop ambitieuse, parce que je ne voulais pas me concentrer sur la différence hommes/femmes, mais que je voulais aborder la question de la diversité des personnages et des histoires de femmes. D’abord, la notion de « diversité », vocabulaire médiatico-technocratique, ne leur parlait pas vraiment : « Ben, c’est quand c’est divers, quoi. Quand on a le choix. » Ensuite, je voulais leur dire qu’avoir des femmes aux postes de réalisation ou de production ne garantissait pas une représentation plus diversifiée ou moins stéréotypée. Je citais en exemple le film Triple Alliance, réalisé par une femme avec trois personnages principaux féminins, mais qui sont toutes les trois jeunes, blanches, mince, belles et riches, et n’ont qu’un seul centre d’intérêt : l’homme qui a fait de chacune d’entre elle sa maîtresse. « Mais alors du coup, c’est quoi l’intérêt d’avoir des femmes qui font des films ? » J’ai tenté de faire valoir le fait que en général, les femmes ayant des vécus différents de ceux des hommes, elles portaient à l’écran des histoires différentes, des représentations du monde différentes. Je voyais le vide dans leurs yeux : mon discours ne leur parlait pas du tout.

 

La deuxième année, j’ai donc changé mon fusil d’épaule et j’ai attaqué avec des choses plus concrètes : inégalités de salaires, partage des tâches ménagères et du soin aux enfants, agressions. J’ai senti que je rentrais dans leur vie. Ouf. J’avais trouvé quelque chose qui fonctionnait. 

 

#BalanceTonPorc a permis à de nombreuses femmes de raconter leurs expériences de harcèlement sexuel au travail

La première fois que j’ai testé ce nouveau déroulé, on était en plein affaire Wenstein, et les hashtags #BalanceTonPorc et #MeToo envahissaient les réseaux sociaux. Je me suis dit qu’il était important de parler de consentement, de respect, de vie sexuelle. Mais je crois que j’ai forcé la dose, avec un discours bien culpabilisant et bien moralisant, qui n’offrait aucune piste de réflexion aux jeunes, aucun conseil pour agir concrètement dans leur vie. J’y suis allée avec mes gros sabots, en commençant par les assommer avec les chiffres des viols et agressions sexuelles en France (plus de 50 000 chaque année), des violences commises par le conjoint ou ex-conjoint en France (224 000 par an). Sur cette base, pas de dialogue possible. J’ai enchaîné en leur montrant deux vidéos abordant le sujet. Les réactions de certaines ont été très vives : « A quoi ça sert de parler de tout ça, hein ? De toute façon, ça changera jamais ! Les mecs comme ça, il faudrait leur couper les couilles ! » J’ai essayé de dire que, sur 50 000 viols, il y en avait forcément qui étaient commis par des hommes qui n’avaient pas conscience de ce qu’ils avaient fait. Mon discours était inaudible par plusieurs jeunes femmes de l’assistance, très énervées parce que visiblement très mal à l’aise avec le sujet.

J’ai conclu en leur présentant une petite histoire : « Vous êtes enseignant(e) et une de vos élèves semble aller mal… » Je vous la fais courte : dans mon histoire, l’élève en question a été violée par le copain chez qui elle a passé la soirée, chez qui elle est restée dormir ensuite. Mon idée était de les faire réfléchir en groupe à une manière de réagir. Dans un des trois groupes, une jeune femme s’est mise ostensiblement en retrait, bras croisés. Quand je suis allée la voir pour savoir ce qui se passait : « Vas-y, moi je parle pas de ça, c’est bon. A quoi ça sert, hein ? Les mecs comme ça faut les castrer un point c’est tout. » J’ai évidemment essayé de désamorcer, de lui dire que si le sujet la mettait mal à l’aise, elle avait tout à fait le droit de sortir s’isoler un moment, qu’en discuter ici, dans un cadre neutre, c’était aussi se préparer à réagir correctement si jamais quelqu’un de proche se confiait à nous…

 

Je suis rentrée chez moi mal à l’aise, gênée par ce que j’avais produit, consciente d’avoir été lourde, mauvaise dans ma manière d’aborder le sujet. J’avais sûrement ravivé des traumatismes, je n’avais pas su les aider à avancer. Je m’en suis beaucoup voulu.

 

Alors j’ai changé une troisième fois mon intervention. J’ai donné les chiffres des viols et des violences conjugales, j’ai passé une

vidéo qui explique : « Si vous avez du mal à comprendre la notion de consentement pour les rapports sexuels, imaginez une tasse de thé. »

[…] Si une personne est inconsciente parce qu’elle a trop bu ou parce qu’elle dort, ne lui faites pas de thé. Les personnes inconscientes ne peuvent pas vouloir de thé. […]

On a un peu discuté du fait que les viols sont à 80% commis par des personnes de l’entourage (et non pas par des inconnus le soir, dans une ruelle sombre). Et puis je me suis arrêtée là. J’avais prévu d’ouvrir plus largement le débat, en leur demandant comment on pouvait être sûr(e) du désir de son ou sa partenaire (Demander ! Communiquer !). Mais je n’ai pas osé pousser la discussion. J’ai vu les yeux d’un bon tiers des filles présentes se détourner vers le sol. J’ai vu certaines jeunes femmes très actives précédemment se refermer comme des huîtres avec un regard vide. Je n’ai pas voulu pousser, j’ai eu peur de ce que ça pouvait produire chez elles. 

 

Ces regards-là, je commence à les connaître. Quand j’interviens auprès de groupes où les participant(e)s sont nombreux et nombreuses, je

 fais souvent deviner, en guise d’introduction, quelques chiffres. Ceux des violences sexuelles ou conjugales induisent toujours de type de réactions. Et ça me fait toujours mal, en fait, parce que je devine les histoires qui sont derrières, les abus de pouvoir, les conséquences en termes de confiance en soi et en autrui.

 

La vérité, c’est qu’aborder ces questions avec les jeunes, c’est un métier, et ce n’est pas le mien. Il était temps que je m’en rende compte…

Nous vivons à l’ère de la performance et sous le regard des autres. La productivité chiffrée est devenue la mesure de la valeur individuelle, les réseaux sociaux ont entraîné un vaste mouvement de mise en scène de soi et de comparaison accrue avec autrui.

Dans ce contexte, qu’en est-il des femmes, qui, à la différence des garçons que l’on éduque à la prise de risque, sont conditionnées très tôt à être de bonnes petites soldates dociles ?

 

Dans leur vie professionnelle…

Les femmes gagnent toujours, en moyenne, 455€ de moins que les hommes chaque mois. Cela revient à une perte de 235 000€ à la fin d’une carrière de 43 ans. Le montant des retraites perçues par les femmes est toujours, en moyenne, de 671€ de moins que celui des retraites des hommes, et l’écart se creuse depuis 2004. Toutes situations confondues (jeunes, seniors, ayant des origines migratoires, n’en ayant pas, vivant dans l’Hexagone et dans les outre-mers), ce sont les femmes qui sont les plus pénalisées sur le marché de l’emploi.

Les femmes doivent en faire bien plus pour être reconnues, par autrui mais aussi par elles-mêmes. (Les études sur l’estime d’elles-même, dès très jeunes, des filles par rapport aux garçons sont à cet égard confondantes. Pour l’anecdote, l’ensemble des chef(fe)s de service de ma structure se sont vu proposé du coaching individuel. Je vous le donne en mille : sur neuf personnes, toutes les femmes sauf une ont accepté avec enthousiasme ; aucun homme n’a estimé en avoir besoin.)

Si une femme est trop autoritaire, elle sera qualifiée de harpie. Si elle est trop permissive, on trouvera qu’elle manque de capacités managériales. Trop proche de la direction, on l’accusera d’utiliser ses charmes. Trop distante, on lui reprochera de manquer de qualités humaines. Ambitieuse, on la verra comme un requin dont les dents rayent le plancher. Peu carriériste, on songera qu’elle gâche ses possibilités et on refusera de la prendre au sérieux. Qu’elle fixe des limites à sa présence en entreprise pour être plus disponible pour sa famille, et on la cataloguera comme n’étant pas fiable. Qu’elle ait simplement des enfants, et on verra leur existence comme une épée de Damoclès au-dessus de son investissement professionnel. Que son conjoint s’occupe des enfants, et on la verra comme une machine froide et son compagnon comme une créature entre le martyr des temps modernes et le castré façon Renaissance. Qu’elle ose seulement assister à une réunion sans l’avoir bien préparée : elle n’aura pas les épaules pour le poste.

 

Dans leur vie personnelle…

Les femmes ont acquis, de haute lutte, le droit à disposer de leur corps et à exercer ce droit par le biais de l’Interruption Volontaire de Grossesse. (Je passerai volontairement sur les fermetures massives de structures publiques, qui mettent en danger l’exercice effectif de ce droit.) En conséquence, la maternité est devenue largement choisie. Et puisque devenir mère est devenu un choix, les femmes ont à présent l’obligation de réussir aussi cet aspect-là de leur vie.

Il faut faire des enfants épanoui(e)s, auxquel(le)s on fixe des limites sans brider leur créativité, auxquel(le)s on propose des loisirs sans les transformer en machines. Il faut suivre leur scolarité sans leur mettre de pression excessive, les pousser sans les étouffer, leur donner le choix tout en les empêchant de prendre de mauvaises décisions. Il faut éduquer sans crier, faire attention à l’équilibre alimentaire. Et surtout, surtout, il faut être heureuse en tant que mère. Il faut aimer ses enfants par-dessus tout, se sacrifier de bonne grâce, ne jamais se plaindre de la charge qu’ils/elles font peser sur le quotidien et l’organisation. La mère parfaite est une mère qui se dévoue et qui sourit.

Les magazines féminins ont ajouté à cette pression-là celle de réussir son couple et, tant qu’à faire, sa vie sexuelle. Il faut baiser régulièrement, et jouir à chaque fois. Il faut essayer de nouvelles positions, de nouvelles pratiques, de nouveaux et nouvelles partenaires. Il faut réinventer son couple, avoir peur de la routine, partir en vacances, maigrir avant les vacances, s’entendre avec les ami(e)s de l’autre, avec sa famille.

 

MERDE.

Je revendique, au nom de toutes les femmes, le droit à être imparfaites et à faire des erreurs.

Au boulot, parfois, nous manquons de tact, nous nous laissons envahir par le flux des tâches à accomplir sans prioriser, nous arrivons sans être bien préparée, nous demandons à partir plus tôt pour aller chercher nos enfants à l’école, nous sommes en retard sur une tâche à accomplir, nous insistons lourdement pour obtenir une promotion, nous laissons passer une possibilité de promotion.

Dans notre couple, parfois, nous nous engueulons, nous sommes de mauvaise foi, nous nous laissons marcher sur les pieds, nous faisons l’amour un peu par habitude, nous ne jouissons pas, nous ne baisons plus, nous restons célibataires longtemps, nous nous accrochons à nos principes sans vouloir faire de compromis.

En tant que mères, parfois, nous laissons passer des comportements problématiques, nous sur-investissons la scolarité de nos enfants, nous imposons des règles rigides, nous crions, nous nous énervons, nous cuisinons des pâtes ou des conserves.

Nous faisons du mieux que nous pouvons, nous sommes humaines, nous échouons, nous tirons les leçons de nos échecs, nous nous excusons, nous tâchons de faire mieux la fois suivante, et la fois suivante, parfois nous réussissons, parfois nous ne réussissons pas. Nous naviguons à vue dans ce grand espace qu’est la vie, et nous réclamons simplement QU’ON NOUS LÂCHE LA GRAPPE.

Moi, les droits des femmes, c’est mon gagne-pain. Alors vous pensez bien qu’à l’annonce du premier gouvernement Philippe, j’étais toute frétillante. Le nom de l’heureuse élue ayant été annoncé, il est temps de regarder d’un peu plus près ce qu’elle nous prépare.

 

J’ai attendu le nom de la Ministre toute la journée d’hier. Je me rappelais encore des annonces du candidat Macron : « Je ferai de l’égalité femmes-hommes la cause nationale du quinquennat. Sans cela, on se prive de la force de notre société. » ; « Il y aura un Ministère plein et entier des droits des femmes. » 15h, bim-boum, comme au bac les résultats tombent. Marlène Schiappa est nommée Secrétaire d’Etat à l’égalité femmes/hommes. Habonbabon. Eh ben pour un Ministère de plein exercice, on repassera. C’est dommage, parce qu’il est déjà difficile de faire entendre que les droits de la moitié de l’humanité sont un sujet important, si en plus nous n’avons même pas droit à une Ministre pleine et entière, il va être encore plus compliqué de faire du bon travail.

Passons.

Mais alors, du coup, qu’est-ce qu’elle a dans le ventre, Marlène Schiappa ?

Son cheval de bataille : favoriser l’égalité professionnelle

Elle est la fondatrice du blog « Maman travaille », qui met en avant les difficultés rencontrées par les femmes qui ont une famille et une carrière professionnelle : culture du présentéisme, réunions tardives, difficultés pour trouver des places en crèches… Elle reprend à son compte l’expression « le plafond de mère », utilisée pour expliquer comment la maternité est un frein à la carrière professionnelle des femmes.

Tout cela est bel et bon et Marlène Schiappa soulève de vrais problèmes, de vrais freins. Certes, la société française, les entreprises et les administrations devraient être organisées de manière à prendre en charge partiellement la maternité, et ainsi en décharger les femmes. Cependant, raisonner comme cela laisse complètement de côté la question de la place des hommes dans la parentalité. De facto, les femmes prennent en charge la vaste majorité des tâches domestiques : 1h30 de plus par jour soit 10h30 de plus par semaine que les femmes n’ont pas pour elles, pour voir leurs ami(e)s, lire des livres, faire de la sculpture sur soie… Mais tant qu’on n’aura pas une discussion approfondie autour des conséquences de la parentalité (et non de la maternité), et donc tant qu’on ne réfléchira pas à une manière d’envisager la parentalité comme une charge qui pèse sur les deux membres du couple, et aux façons de répartir équitablement cette charge, on n’en sortira pas.

Conséquemment, les mesures d’Emmanuel Macron, basées sur le travail et les propositions de Schiappa, ne suffiront pas.

Marlène Schiappa veut par exemple créer un congé maternité unique pour toutes les femmes, quel que soit leur statut. C’est bien. Il est effectivement injuste qu’une commerçante soit moins protégée qu’une salariée. Cependant, là encore, on n’envisage l’enfant que sous l’angle du poids qu’il fait peser sur la mère, que l’on tente de soulager, au lieu de réfléchir à l’implication des pères. 

Il aurait été intéressant de réfléchir aussi, en plus, en même temps, à des mesures destinées à favoriser le congé paternité : en le rémunérant mieux, en créant un arsenal législatif et juridique protecteur, pour garantir le retour des hommes dans l’entreprise après le congé et interdire les discriminations sur cette base, voire en le rendant obligatoire, dans une certaine mesure et sous certaines conditions.

De même, il est indispensable de s’intéresser aux scandaleux écarts de salaires qui subsistent encore (les femmes gagnent en moyenne 455€ de moins que les hommes chaque mois, soit 235 000€ à la fin d’une carrière professionnelle). La proposition de l’équipe En Marche, menée sur ce sujet par Schiappa, consiste à effectuer des contrôles aléatoires dans les entreprises, pour vérifier que les salaires sont égaux pour les hommes et les femmes, à compétences égales.

Il faut croire que la dite équipe ne s’est pas suffisamment penchée sur le problème des écarts de salaires. En effet, seule une dizaine de pourcentage de l’écart est due à une discrimination pure : à postes et compétences égales, les femmes sont moins payées. Mais la plus grosse partie de l’écart est due à d’autres facteurs (sur ce sujet, voir mon article précédent : L’intersectionnalité ou le piège de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes). Dans leur majorité, les contrôles ne donneront rien. On dépensera beaucoup d’argent public pour constater que le problème est ailleurs : dans l’éducation des enfants, dans les stéréotypes qu’on continue à ingurgiter et à transmettre.

Ainsi, tant qu’on ne s’attaquera pas frontalement à la formation des professionnel(le)s en contact avec les enfants (éducation nationale, accueils collectifs de mineurs, centres de loisirs, conseillers et conseillères d’orientation, BAFA, etc.), on continuera à se heurter aux mêmes problèmes.

Mouvement des élu(e)s français(es) pour l’égalité

Avec d’autres élues, Marlène Schiappa a fondé le Mouvement des élu(e)s français(es) pour l’égalité.

Parce que nous pensons que c’est à l’échelon local que nous pouvons agir pour l’égalité, lutter contre les discriminations, les inégalités, les stéréotypes; mais aussi le déterminisme social, la victimisation et le communautarisme qui pèsent parfois dans nos milieux.

La victimisation et le communautarisme ? La « victimisation », tu veux dire comme dans les enquêtes faites à échéances régulières par le Ministère de l’Intérieur, et qui nous montrent bien à quel point les chiffres des violences faites aux femmes baissent peu : chaque année, on recense 118 meurtres en raison de violences conjugales, 223 000 victimes de violences par leur partenaire de vie, 84 000 viols ou tentatives. Chaque année.

Et le communautarisme ? Ah, tu veux sans doute parler de ces affreux musulmans qui oppressent leurs femmes alors que nouzot’, non-musulman(e)s, on ne le fait pas, comme le montrent bien les chiffres qui précèdent. Comme dit l’autre : « Une femme qui gagne 20% de moins, qui subit le sexisme et qu’on assimile encore aux tâches ménagères doit avoir les cheveux libres !« 

Et sur le fond ? Éducation aux stéréotypes et à l’égalité

Le combat en faveur des droits des femmes est difficile et long, parce qu’à la racine des nombreux problèmes évoqués jusqu’à présent, se trouvent des questions fondamentales, de culture de société. Ce n’est que par l’éducation à l’égalité, à l’émancipation des stéréotypes qu’on permettra aux jeunes de construire une vie qui ressemble un peu plus à ce qu’ils/elles veulent, et un peu moins à ce qu’ils/elles croient qu’ils/elles devraient faire.

Et sur le volet des stéréotypes, on ne peut pas dire que Marlène Schiappa parte sans handicap. En 2011, elle a publié aux éditions « La Musardine » un livre ayant pour titre Osez l’amour des femmes rondes. DariaMarx fait une analyse détaillé du tissu de clichés insultants que constitue ce livre. Pour ma part, je me contenterais de citer un extrait de son article :

–       Ne vous goinfrez pas en public. On mangera une sucette, pour rappeler l’aspect phallique du geste, mais pas un sandwich, qui pourrait faire penser à  votre indélicate surcharge pondérale.

–       Dansez, mais seulement si vous savez. Inutile d’essayer d’imiter vos copines minces qui se trémoussent sans avoir pris de leçons. Vous auriez l’air d’un tas. Prenez des cours de salsa, par exemple, car sinon, vous risqueriez  « d’incarner l’absence de maîtrise de soi »

–       Ne vous ruez pas sur la bouffe comme une candidate de Koh Lanta après un jeune forcé. C’est bien connu, les grosses ingurgitent des tonnes de nourriture en public, et cela sans aucune retenue. Sachez vous tenir, merde ! L’auteure vous conseille de « ne pas prendre de dessert si personne d’autre n’en prend à votre table » et surtout « de ne pas demander de doggy bag » (?!)

–       Mentez sur votre poids quand vous draguez en ligne ! Mais pas trop ! Juste ce qu’il faut pour attirer un maximum de mecs ! Vous vous arrangerez  avec la vérité une fois le temps du rendez-vous arrivé ! Si vous avouiez votre vrai tonnage, personne ne voudrait de vous, bien sûr.

–       Soyez drôles, mais pas trop. La femme grosse a l’obligation d’être marrante, mais ne doit pas oublier que sa priorité doit toujours rester sa soumission totale à l’homme. Elle préfèrera donc rire aux blagues pourries de son compagnon plutôt que de se lancer dans un récital de vannes. […]

–       On suit la mode, mais pas trop. Parce que soyons honnêtes, les grosses ne peuvent pas tout mettre. Contentez vous donc de mettre une jolie broche, d’accessoiriser.

Le blog FauteusesDeTrouble complète l’analyse :

[L]a deuxième partie de l’ouvrage se fonde sur le syllogisme, plutôt contestable, que la grosse est grosse parce qu’elle est épicurienne, et que, très logiquement, si elle aime bouffer, elle aime aussi baiser. CQFD. C’est pourquoi elle sera bonne au lit et en cuisine : on trouve alors des recettes de cuisine à côté de recettes de fellation. Edifiant.

Euh… Vraiment ? Vraiment ?

Que dire ? « Bienvenue, madame la Secrétaire d’Etat à l’égalité femmes/hommes » ?

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C’est quand même symptomatique. A chaque fois qu’il est fait mention de violences faites aux femmes (au sens large), il se trouve toujours un pingouin ou une pingouine (mais c’est plus rare, ce serait-ce que parce que la langue française n’a pas prévu de mot pour désigner un pingouin femelle), il se trouve toujours une personne, donc, pour déplacer l’attention sur la minorité d’hommes victimes. Oui, l’organisation sexiste de notre société pèse sur les hommes comme sur les femmes. Mais dans la vaste majorité des cas, les victimes du sexisme, ce sont des femmes.

L’une des manières récurrentes de tirer la couverture à soi est de parler de ces nombreux pères chez qui ces méchants juges aux affaires familiales refusent injustement de fixer la résidence principale de l’enfant. Une bonne fois pour toutes, rétablissons la vérité.

Dans 80% des cas, les deux parents sont d’accord sur le lieu de la résidence principale de l’enfant. Le juge homologue leur décision dans 99,8% des cas. Il fixe une résidence chez la mère pour 71% des enfants, la résidence chez le père pour 10% et la résidence alternée pour 19% d’entre eux.

Les cas de désaccord ne représentent que 10% des cas de divorce. Dans ces cas-là, le juge prononce à 63% une résidence chez la mère, à 24% une résidence chez le père, à 12% une résidence alternée. Comparées aux décisions homologuant les choix établis en commun par les parents, lorsque le juge est amené à trancher, il prononce plus de deux fois plus de résidence chez le père (24% contre 10%).

Maintenant, partons du principe que, en cas de désaccord, l’ensemble des résidences fixées chez la mère

relève d’une spoliation du père. Cela supposerait qu’il serait bon et juste d’accorder la résidence principale au père dans la totalité des cas. Vous m’accorderez que c’est compter très large. Même en comptant ainsi, donc, cette spoliation n’intervient que dans 6% de l’ensemble des cas de divorce.

A présent, partons de l’hypothèse plus vraisemblable que, pour les cas de désaccord, il faudrait fixer la résidence principale chez la mère et chez le père à égalité, dans 50% des situations. Dans ce cas, la spoliation des pères intervient dans 2% de l’ensemble des cas de divorce.

Que cela soit dit une bonne fois pour toutes : l’obstacle principal à la fixation de la résidence principale chez le père, c’est le père.

Source : La résidence des enfants de parents séparés, De la demande des parents à la décision du juge, rapport du Ministère de la Justice de novembre 2013

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Depuis quelques jours, tourne sur les réseaux sociaux le lien vers un article intitulé : « 20 choses auxquelles vous devriez vous attendre si vous décidez d’emménager avec une femme ». En voyant passer cet article et en lisant son titre, je me suis dit : « Ne clique pas, ça va t’énerver ». J’ai cliqué, ça m’a énervée. Et surtout, j’ai découvert que je n’étais pas une vraie femme. Démonstration par a + b.

1. Il y aura des cheveux. Beaucoup de cheveux.

Je n’aime pas les cheveux tombés qui trainent dans le lavabo, dans la baignoire, sur le sol. Je trouve ça particulièrement sale. Donc moi, en fait, je ramasse mes cheveux tombés. Scoop.

2. Vous retrouverez des soutiens-gorges dans toute sortes d’endroits improbables.

(Je passe sur l’accord inexistant entre « toute » et « sorte » dans l’article original. C’est mesquin, mais c’est mon métier. 😉 ) Chez les autres, je ne sais pas comment ça se passe. Mais chez moi, les soutiens-gorges sèchent sur l’étendoir, à côté du reste du linge. A la rigueur,  quand ils sont trop mouillés pour sécher au-dessus du plancher qui couvre le reste de l’appartement, je les mets dans la salle de bain. Ça ne me viendrait pas à l’esprit d’étendre mes soutifs à la cuisine par exemple. Je trouve ça incongru. Sérieusement, il y a des gens qui font ça ?

3. Des accessoires pour les cheveux apparaîtront dans toute votre maison, surgis de nulle part.

En fait, je crois que le problème, c’est que le rédacteur ou la rédactrice de l’article vit avec une femme bordélique, surtout. Pourquoi les accessoires cheveux devraient-ils se retrouver dans toute la maison ?

4. Leurs douches seront impossiblement longues

(Je passe sur le néologisme « impossiblement », qui n’existe pas en français. Déformation professionnelle.) Toute personne ayant vécu avec un adolescent de sexe masculin confirmera que ses douches sont à peu près aussi longues, si ce n’est plus, que celles de ses sœurs éventuelles. N’importe quel(le) ado qui se respecte colonise la salle de bain au bas mot une heure par jour.

5. De toute façon, il fallait vous y attendre, vu le nombre de produits pour la peau/pour les cheveux qui décorent désormais votre salle de bains.

Merdum. Je le savais. Je ne suis pas une vraie femme. Sur le bord de ma baignoire (ouais, j’ai une baignoire ; j’en ai de la chance), trônent royalement trois bouteilles : un gel douche, un shampoing, et un gommant, que j’ai acheté il y a plus de deux ans et qui n’est pas encore vide. Drame. Pire : quand je vois que, dans certains hôtels, le produit pour le corps et pour les cheveux est le même, je me dis même que je pourrais encore réduire d’un tiers.

6. La moitié de ses habits seront rangés de façon normale, et l’autre moitié sera par terre.

Voilà, on est d’accord. Ta copine est une gorette, en réalité. Je m’adresse à toi, auteur(e) de l’article. Ce n’est pas parce que tu t’es résigné(e) à vivre dans le bordel qu’il faut énoncer tes faiblesses comme une norme, hein. Et puis je n’ai jamais vu jouer que les hommes avaient génétiquement plus d’ordre que les femmes. Au contraire, un Hômme, c’est fort, c’est vif, c’est agile. Ca ne perd pas de temps avec ce truc de bonne femme qu’est le rangement, enfin ! La prochaine fois que tu as besoin d’un cliché, appelle-moi, OK ?

7. Une fois par mois, votre poubelle se remplira beaucoup, beaucoup plus rapidement que d’habitude…

Mouarf, mouarf. Une fois par mois, dans mes poubelles, il ne se passe absolument rien. J’utilise une coupe menstruelle. Total des déchets produits en période de règle : zéro.

8. … Et vous seriez bien avisé d’être extrêmement gentil avec elle pendant une semaine.

Très cher(e) concepteur ou conceptrice de ce tissu de clichés cet article, je te renvoie vers ce truc, que j’ai écrit il y a quelques temps : « T’as tes règles ou quoi ? » Menstruations féminines et colère légitime. J’aime bien rabâcher (il paraît que c’est la base de ma profession), mais il y a des limites à l’acharnement.

9. Si elle porte du vernis : une petite partie finira un jour par se retrouver sur autre chose que ses ongles.

Et si elle ne porte pas de vernis ? Elle se fait greffer un pénis ? Super, j’ai toujours rêvé de savoir ce que ça faisait que d’en avoir un !

10. Votre stock de papier toilette se videra beaucoup, beaucoup plus rapidement que d’habitude.

Ça, moi y’en a pas avoir compris. Pourtant, je m’en suis fadé, des clichés débiles. Mais celui-là, jamais vu. Une bonne âme pour m’expliquer le sens du stéréotype ?

11. Il y aura toujours quelque chose qui viendra parfumer votre maison avec une douce odeur…

Mon voisin d’en face (oui, j’observe les voisins de l’autre côté de la rue. Mon côté mégère, sans doute.) allume une bougie après avoir fait le ménage chez lui (authentique). C’est une meuf ?

12. Si elle porte du maquillage : il est probable que vous vous retrouviez un jour avec un désastre dans votre salle de bains et de la poudre plein votre évier.

… A moins que vous viviez avec un être humain, et non un porcelet, auquel cas le dit être humain s’empressera de nettoyer derrière lui. (T’y avais pas pensé, hein ? De rien.)

13. A un moment ou un autre, vous allez trébucher sur une paire de chaussures.

… A moins que vous viviez avec un être humain, et non un porcelet (bis repetita placent), auquel cas le dit être humain rangera ses pompes à l’endroit prévu à cet effet. Si maintenant tu fous tes pattes sur le meuble à chaussures, il y a des chances que tu te casses la gueule, là oui. Mais il ne faut pas avoir la lumière à tous les étages pour escalader un meuble à godasses, en même temps.

14. Ses manières de princesse disparaîtront à partir de l’instant ou elle mettra le pied chez vous.

C’est quoi, une « manière de princesse » ? J’aime la pizza et les frites ? Chui une princesse M’sieurs-Dames ? Epidabor, pourquoi ça ne serait pas vous qui foutriez le pied chez elle, hum ?

15. Elle mangera plus que ce que vous pourriez vous-même avaler en une journée.

Ah ben ça répond à ma question du dessus, du coup. Trop aimable.

16. Toute sa collection de bouteilles de shampoing et d’après-shampoing se retrouvera en exposition permanente dans votre douche. Presque la moitié de ces bouteilles seront vides.  

Voir n°5 sur la « collection de bouteilles de shampoing et d’après-shampoing », et n°8 sur les vertus limitées de la répétition. On arrive à cours d’idées, cher(e) auteur(e) ?

17. A un moment ou un autre, elle essaiera de vous prouver à quel point elle est bonne cuisinière… Et échouera misérablement.

Alors que vous, vous êtes un dieu des fourneaux ! Chouette, on va bien bouffer.

18. Elle vous laissera la voir dans des états dans lesquels personne d’autre au monde ne verra.

(Jeu des erreurs. Toi aussi, repère la faute de syntaxe dans cette phrase, et insère un pronom « la » à l’endroit approprié !) Je crois qu’il faut que je présente mes excuses au « monde » pour être déjà sortie de chez moi sans maquillage, sans lentilles, sans être particulièrement coiffée, avec des habits confortables, des chaussures plates, des cernes, une humeur de chien, les yeux rouges après avoir pleuré, en trainant les pieds… J’espère que le « monde » s’en remettra.

19. Inévitablement, vous la surprendrez un jour en train de faire un truc absolument dégueulasse.

Pour éviter l’effet de surprise, il faut que je te prévienne : des fois, je ne fais pas le ménage pendant plusieurs jours. Dégueulasse, hein ? A ce propos, tu fais quoi le week-end prochain ? Mon sol a besoin d’un coup d’aspi, et comme moi je suis sale, je me disais que ta bonté et ton sens du dévouement pourraient prendre le relais.

20. Mais que ce soit pour le meilleur ou pour le pire, cela sera assurément une expérience que vous n’êtes pas prêt d’oublier ! 

On sent la fin de l’article, non ? C’est sûr que « 19 choses auxquelles vous devez vous attendre », ça sonne moins bien. On sent qu’il manque un truc, quoi. Alors, bon an, mal an, en tirant la langue, on atteint péniblement les vingt et comme ça, tout le monde est content. Clap-clap, tu as réussi à pondre ta propre liste de clichés sexistes bien à toi. On se retrouve la semaine prochaine pour que je t’apprenne ce que c’est vraiment que de vivre avec un homme, poulet(te) ? Bisous.

J’ai comme le pressentiment que, cette année encore, notre jolie journée internationale des DROITS DES femmes va être transformée en une immonde journée de la fâme : shopping, rouge à lèvres et talons hauts. 

A l’occasion de cette journée du 8 mars, Libération publie un dossier qui, officiellement, récapitule les différentes positions féministes sur de grands thèmes de société : GPA, PMA, port du voile… Bon, en vrai, le journalisme étant ce qu’il est, le titre est beaucoup plus racoleur : « Peut-on être féministe et défendre le voile, le porno ou la garde alternée ? » On est loin de l’article de fond sur des sujets polémiques… A quand un Libé « Putes, jihad et hommes battus, les féministes au cœur de la tourmente » ?

Bref ! Je m’égare. Donc Libé propose un diagramme fort bien fait que je m’empresse de vous soumettre :

 

La cause, la cause, mais seulement quand ça rapporte.

Une remarque, d’abord. Les lecteurs attentifs et les lectrices attentives auront sans doute remarqué que les positions de Najat

Vallaud-Belkacem et de l’association Osez Le Féminisme coïncident exactement. C’est parfaitement normal. En effet, Caroline de Haas, présidente de cette association, est devenue conseillère de la Ministre des Droits des Femmes au moment de sa nomination… avant de démissionner pour fonder un cabinet de consulting privé « Egaé Conseil, d’égal à égale » qui facture maintenant ses services à l’Etat et, par son biais, aux entreprises « volontaires ». La cause, la cause, mais seulement quand ça rapporte.

 

Pour en revenir à l’article de Libération, il est malheureux que les trois journalistes qui l’ont signé ne partent pas de ce diagramme pour confronter les idées des différents courants en présence. A la place, nous avons le droit à un gloubi-boulga de tout ce qui fait vendre : le voile, la garde alternée, le porno. Mais que voulez-vous, le professionnalisme, ça ne paie pas les factures !

 

Commençons par le voile.

Sans rien expliquer de plus, les journalistes citent la sociologue Nacira Guénif-Souilamas : 

« L’émergence d’un féminisme minoritaire, multiculturel et multiconfessionnel a été vécue contre une

sorte de contresens féministe. Etre féministe et voilée serait un oxymore. »

Et voilà. Je parie que vous comprenez mieux quel est le problème maintenant. Heureusement que Libé est là. La sociologue ajoute : « Il est évident qu’au nom de l’antisexisme, on a nourri une forme de racisme ». Tellement évident qu’on ne va pas prendre la peine de vous l’expliquer, tiens.

 

 

C’est bien beau d’affirmer ce genre de choses de façon péremptoire. Mais pourquoi faire le lien entre antisexisme et racisme ? La réponse est loin d’être évidente. Ce qui frappe d’abord, c’est cet amalgame entre Islam et sexisme, comme s’il n’y avait que les musulmans qui ne respectaient pas les femmes, et comme si, sans cette satanée religion, nous vivrions tou(te)s ensemble dans une société merveilleuse d’harmonie et exempte de toute discrimination. Le fait est que nous n’avons pas attendu les musulmans pour vivre dans un monde sexiste, que la religion catholique n’est pas exactement connue pour son combat féministe, et que les 18% d’écart de salaire et les 75 000 viols ou agressions sexuelles annuels, pour ne citer qu’eux, ne peuvent pas être tous mis sur le dos des musulmans. On est de mauvaise foi, au sommet de l’État, mais quand même pas à ce point.


Alors, est-ce que le voile, c’est mal ? Moi, je n’en sais rien. Je ne porte pas le voile, je ne connais personne qui porte le voile.

Mais je suis gênée aux entournures quand j’entends que le voile est un symbole d’oppression. En effet, si une personne qui porte le voile ne le vit pas comme une oppression, je vois mal en quoi moi, toi, nous, non-musulman(e)s non-porteurs ou porteuses de voile, serions en position de juger, dans l’absolu, de ce qui est oppressif ou non. « Non, mon voile est un symbole de liberté. » « Mais si, tu es oppressée, puisque j’te l’dis. »

 

La garde alternée, maintenant.

Le paragraphe de Libé consacré à cette question est un modèle de désinformation. Loin d’être un « gros caillou dans la chaussure » de féministes qui seraient gênées par le « retour de revendication des pères qui réclament des droits », cette affaire est extrêmement simple, et les féministes sont (qui a dit « pour une fois » ? 😉 ) relativement d’accord sur cette question.

En effet, la seule information pertinente de l’article est la suivante : « dans 80% des cas, c’est le couple, dont le père, qui a décidé d’un commun accord de fixer la résidence principale de l’enfant chez la mère. » Elle est là, la réalité des chiffres. Dans 80% des cas, les couples considèrent qu’il revient à la mère de s’occuper de l’enfant les 2/3 du temps, et que la place du père ne doit pas occuper plus d’1/3 du temps : un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Alors, que des pères en colère montent sur des grues pour réclamer la garde alternée, c’est au mieux quelque chose de risible, au pire quelque chose d’outrageant.

 

Ce que Libé se garde bien de dire, comme d’ailleurs la plupart des médias qui ont couvert ces affaires de grues, ce sont les

raisons pour lesquels ces pères médiatisés n’avaient plus le droit de voir leurs enfants. Dans le cas de Serge Charnay, monté sur une grue à Nantes, il convient de rappeler qu’il a été condamné deux fois pour « soustraction d’enfant ». Concrètement, il a enlevé son enfant et s’est enfui avec. Il l’a gardé quinze jours la première fois. La seconde fois, il a brutalisé le grand-père de l’enfant pour s’emparer de ce dernier. Il ne l’a « rendu »que deux mois et demi plus tard, après une intervention des gendarmes qui avaient fini par le localiser.

Quant à Nicolas Moreno, le père monté sur une grue en Ardèche, il était à l’époque mis en examen pour agression sexuelle sur sa fille, et placé sous contrôle judiciaire. Alors qu’on ne vienne pas me parler de justice injuste ou autre baliverne dans le cas de ces pères.

 

La vraie question, et la seule que Libé ne pose pas, c’est pourquoi la majorité des couples qui se séparent considèrent qu’il revient à la mère d’élever les enfants. La réponse est à chercher du côté de notre conditionnement, de notre environnement social. Nous vivons dans une société qui considère que les petites filles naissent avec un gène du rose, et que les petits garçons naissent avec un gène du bleu. Du berceau à la tombe, les premières sont conditionnées pour penser que la famille, le foyer sont leur domaine : poupées en plastique, kits pour faire le ménage, dînettes pour faire à manger… Pendant ce temps, nos garçons se voient offrir des voitures en plastique, des kits pour bricoler, des costumes de héros… Un garçon ne pleure pas, n’est pas sensible (« mon fils, c’est pas un pédé »), et n’a pas à s’investir outre mesure auprès de ses enfants. Mais dire ça, c’est parler des études de genre, qui étudient précisément ces différences sociales. Et c’est faire fuir un lectorat affolé par la « théorie du djendeur », parce qu’il est borné n’a rien compris on lui a mal expliqué. Le djendeur, c’est pas bon pour les ventes. Alors que le porno, ça ça vous dope les chiffres.

 

Le porno, donc.

Alors que le diagramme parle de prostitution, l’article s’intéresse au porno, sans que jamais le lien entre les deux ne soit fait clairement. Le problème, comme j’ai eu l’occasion de l’écrire, c’est qu’il est difficile de soutenir qu’avoir des rapports sexuels pour gagner sa vie en tant que prostituée est illégal, tout en affirmant dans le même temps qu’avoir des rapports sexuels pour gagner sa vie en tant qu’actrice de X est légal.

Saluons également la capacité des journalistes de Libé à ridiculiser les positions féministes en les simplifiant à outrance :

« Il faut faire attention à ne pas le montrer aux enfants, cela fausse leur vision de la sexualité, mais si on

est adulte on peut en regarder, en même temps, ce n’est pas très bien, c’est un instrument de la domination masculine »

Une récompense aussi pour l’absence totale d’explication autour du Large Labia Project. Contrairement à ce que les journalistes écrivent, il ne s’agit pas de prendre en photo son vagin. N’importe quel idiot(e) ayant un minimum de connaissances anatomiques se rend en effet rapidement compte qu’à moins d’insérer l’appareil photo à l’intérieur du sexe, il est difficile de prendre en photo son vagin.

Il s’agit de prendre en photo sa vulve, c’est-à-dire ce qui se voit de l’extérieur. « Mais quelle drôle d’idée ! » (Je vous ai entendu !) Pas tant que ça. Les amateurs et amatrices de porno (on ne juge pas !) savent que la majorité des actrices présentent des organes sexuels « plats ». Ainsi, quand elles existent, leurs lèvres intimes sont parfaitement symétriques et ne « dépassent » pas de leur entre-cuisses. Pire, dans de nombreux cas, les actrices n’ont pas du tout de grandes lèvres et leur sexe a l’apparence d’un trou béant. D’ailleurs, le secteur de la labiaplastie, la chirurgie esthétique visant à modifier l’apparence des lèvres intimes, explose. C’est pour lutter contre cette idée selon laquelle le sexe féminin devrait être uniforme que le Large Labia Project propose aux femmes de photographier leur sexe. Ce projet vise à montrer que l’industrie pornographique est loin de refléter la réalité.

 

Conclusion ?

La conclusion de Libé, c’est qu’en éveillant son « cul cosmique », une femme a la possibilité de « changer le monde ». Je n’invente rien, c’est dans l’article !

Plus sérieusement, il est dommage que le 8 mars ne soit pas l’occasion de s’emparer des vrais problèmes ayant trait à l’égalité femmes-hommes et aux rapports entre hommes et femmes. Mais évidemment, expliquer que la fâme ne se réduit pas au shopping, au rouge à lèvres et aux talons hauts, c’est moins vendeur.

 


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